LAURENT LACOTTE

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Laurent Lacotte est un artiste qui privilégie le travail in situ et conçoit généralement ses oeuvres en fonction des endroits dans lesquels il se trouve. Depuis le début de son travail d’artiste, il utilise à dessein des matériaux fragiles et précaires pour réaliser des installations le plus souvent éphémères. Il intervient souvent dans la rue, ou dans les zones sensibles de circulations humaines et/ou de partage de territoires comme les zones de transit, les espaces séparés par des frontières invisibles mais sensibles, les quartiers... Il mène en parallèle un travail d’atelier où il produit des pièces convoquant des matériaux aussi variés que le béton, la peinture, le bois ou le néon. Plus généralement, son art qui se confronte au réel s’installe là où l’on ne s’y attend pas et met en exergue, non sans ironie d’ailleurs, les tensions, les contradictions et les travers de notre société contemporaine. Il crée avec humour et poésie des installations et des environnements singuliers. Il tisse ainsi des passerelles entre l’art et le quotidien, en explorant les notions liées à l’espace public et institutionnel, à l’intime et à l’universel. Entre-les-murs, chaque exposition est pour lui l’occasion d’interroger et de perturber les codes qui appartiennent au registre du dispositif muséal, en posant notamment la question de la sacralisation de l’oeuvre d’art et en inventant d’autres formats possibles. A l’image de sa création qui imbrique l’art et la vie, Laurent Lacotte souhaite rendre visibles ses processus de production en les partageant et en provoquant les rencontres artistiques et humaines par des dynamiques collectives.

Né en 1981, vit et travaille à Paris.

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A poetic instigator, Laurent Lacotte favors in situ works, creations that function purely in terms of location.
His achievements carry a critical impact, strongly affirmed. Since their inception, the artist has focused on fragile and precarious materials to create ephemeral installations, forging bridges between art and everyday life and exploring the notions of public and institutional space, both intimate and universal. Guided by the world around him, he questions underlying problems, and with humor and poetry, he creates singular installations in unique environments. Each exhibition is, for him, an opportunity to question and disrupt the codes of the museum world, to question, in particular, the sacredness of works or art and to invent alternative formats. Like his creations, which nest art and life, he wants to make his production processes visible, sharing them in order to collectively provoke dynamic artistic and human encounters.

Laurent Lacotte born 1981, lives and works in Paris
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Dans l'espace Public

Réalisées depuis le début des années 2010, les interventions et photographies de Laurent Lacotte dans l’espace public expriment un engagement politique fort à travers des gestes furtifs, éphémères, antimonumentaux, s’attaquant à des signes de dysfonctionnement de nos sociétés contemporaines, parfois même à des symboles censés être, pour reprendre le vocabulaire de l’historien Pierre Nora, des « lieux de mémoires », c’est-à-dire des lieux où une histoire commune fédère une nation. Dans les actions qu’il effectue et les détails qu’il observe, l’artiste remet en question le maintien de cette cohésion, attirant l’attention en particulier sur des situations où un esprit démocratique affiché n’est en réalité pas respecté. C’est le cas de l’hospitalité. À l’instar de Jacques Derrida, qui interrogeait la définition de la démocratie à l’aune de cette notion, Lacotte, dans nombre de ses œuvres, montre avec humour mais détermination combien les sociétés occidentales négligent le lien entre démocratie et hospitalité, lien pourtant rappelé notamment dans la devise de la République française par la notion voisine de fraternité, associée à la liberté et à l’égalité. C’est pourquoi dans quelques-unes de ses œuvres les trois couleurs du drapeau français sont présentes, sur un mode ironique, au même titre qu’un autre symbole de liberté et d’accueil, lui aussi puissant mais sujet à caution, la statue de la Liberté. Car s’ils sont de l’ordre de l’inframince, les gestes de Lacotte n’en sont pas moins efficaces et percutants, à même d’interpeler les promeneurs, qui souvent les remarquent sans savoir qu’ils relèvent d’une démarche artistique, leur fonction étant de provoquer les réflexions et les discussions là où elles ont disparu. Dans ce sens, ses œuvres peuvent être interprétées par le biais du concept de « sculpture sociale » inventé par Joseph Beuys, des œuvres qui invitent à amorcer des analyses collectives sur des problèmes qui affectent la société dans son entier. Ainsi, Lacotte se place dans la lignée des artistes activistes en déplaçant le mode opératoire de leurs interventions pour les adapter au contexte d’aujourd’hui, des grands récits vers des actions simples, souvent drôles et poétiques, mais tout autant implacables.

Vanessa Morisset, 2018.
Revue Esse, N°92 - Democratie

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In the Public Realm

Since the early 2010s, Laurent Lacotte’s politically engaged interventions and photographs in public space have, through the artist’s furtive, ephemeral, anti-monumental gestures, boldly tackled the dysfunction of contemporary society, and sometimes even the symbols that supposedly represent, in the words of historian Pierre Nora, “realms of memory” — places where common history federates a nation. Through Lacotte’s actions and the details he observes, he questions the perpetuation of this cohesion, drawing particular attention to situations in which the so-called spirit of democracy is, in reality, not upheld. Such is the case with hospitality. Like Jacques Derrida, who questioned the definition of democracy in light of this notion, Lacotte, in many of his works, demonstrates with wit and determination how much Western society neglects the relationship between democracy and hospitality, a relationship nevertheless evoked in the motto of the French Republic by the notion of fraternity, and its links with liberty and equality. This idea underlies the ironic presence of the three colours of the French flag in several of his works, as well as that of another powerful yet questionable symbol of liberty and welcome, the Statue of Liberty. Although they may be considered to be infrathin, Lacotte’s gestures are no less effective or striking, even arousing the interest of passersby, who do not always recognize them as works of art, their function being to provoke both reflection and debate in areas where these no longer exist. In this sense, his works can be interpreted via the Beuysian concept of “social sculpture,” inviting collective reflection on problems that affect society as a whole. In this way, Lacotte follows in the spirit of other artist activists who shift the modus operandi of their interventions and adapt them to today’s context: from grand narratives to simple, often humorous and poetic, but equally unforgiving acts.

Vanessa Morisset, 2018.
Revue Esse, N°92 - Democratie
[Translated from the French by Louise Ashcroft]

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Laurent Lacotte : Anti Chef-d'œuvre

Par Noémie Monier pour Le Chassis #4
photo : © Salim Santa-Lucia pour
Le Chassis #4

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Laurent Lacotte arpente son environnement proche et les territoires où il est invité et c’est au gré de ces déplacements que les pistes surgissent. L’errance comme socle : un paradoxe à l’image de cette pratique prolixe, douce et abrasive, où l’œuvre vient se nicher dans les creux du visible.
C’est une couverture de survie qu’il dépose sur les épaules de la statue de la liberté de Nice (Guard). Ce sont des pigeons qui picorent les graines bleues blanches et rouges qui composent un drapeau français sur le bitume (Banquet). C’est un socle blanc déposé sur la plage dans l’attente que le soleil vienne s’y poser en se couchant (Endless show). Les œuvres de Laurent Lacotte sont autant de gestes feutrés : des déplacements, des prélèvements, des agencements fragiles toujours sur le point d’être engloutis par le fracas du monde. Ce sont comme des petites bulles d’air, des failles qui ouvrent l’espace d’une incursion de pensée, d’une bouffée d’émotion.

Les affiches blanches où dans l’angle est estampillé « encre, papier, colle » le suivent un peu partout. Cet objet qui s’auto décrit dans son plus simple appareil est comme l’étendard d’un mode opératoire extérieur fait de détournements. L’adoption d’une position méta teintée de dérision est un levier qu’il active volontiers, regard poétique et bienveillant qui n’en est pas moins acéré. Sa production embrasse un large spectre de sujets, dont nombre sont éminemment politiques, ancrés dans une actualité brulante dont il ne craint pas de manier les braises. L’absurdité et la brutalité ordinaires sont aussi soulignées par des œuvres qui sont autant de refus face au silence, à l’impuissance et à la saturation ambiante. Avec Bas-relief, il déplace les pierres anti sdf dans des espaces d’art et les met là où les spectateurs aiment se détendre, et lorsqu’il dépose une pancarte en carton au sol avec son numéro de téléphone à côté d’une soucoupe destinée à la petite monnaie (Je suis absent), c’est à nouveau un système d’exclusion qui est désigné. La question de l’identité nationale se drape de modestie lorsque « La France » apparaît sur le panneau signalétique d’un lieu-dit (La France). Track aborde la liberté de circuler et les enjeux liés à l’immigration, avec son lé de wax étendu à cheval sur une barrière, sous un vol d’oiseaux migrateurs.
Tout se resserre autour de signes synthétiques dont l’impact produit une réelle persistance. L’artiste s’empare aussi de sujets plus intimes, comme cette pierre tombale gravée du seul mot « nous » évoquant le deuil amoureux (Nous), ou les enjeux d’égo, que ce déambulateur campé devant son reflet ne manque pas de railler (Narcisse). A l’image de cette dernière, les titres ont valeur d’éclairage pour certaines images dont le sens n’apparaît pas immédiatement. Résilience désigne ainsi ce rameau feuillu surgi inopinément d’une souche tronçonnée par la voirie avant déracinement.

Au-delà de la part suggestive des images, c’est sa pratique, sa façon de faire de l’art qui est politique. Laurent Lacotte revendique une démarche qui doit prendre place au cœur de la cité, de la vie sociale. L’artiste est un être perméable qui se doit d'être réactif, constitué par des compétences avant tout humaines : l’attention, la curiosité, la précaution, sont les bases d’une vision sociale horizontale dans laquelle il s’inscrit avec responsabilité et humilité.
Aussi, les questions liées au statut de l’artiste sont centrales au sens d’une mise en pratique qui commence par éprouver la collaboration, la collectivité, la co-création. Avec nombre d’autres artistes, mais pas seulement. Laurent Lacotte procède par conversations lorsqu’il effectue des résidences ou des ateliers participatifs et transforme la moindre contrainte en occasion de transmission. Aussi lorsqu’il est invité à présenter un solo show au Phakt de Rennes, ce sont finalement des riverains qu’il choisit d’inviter pour des co-créations. Il leur a alors consacré ce que nous avons tous de plus précieux : son temps. Ces cinq individus sont ainsi devenus les co-artistes d’une œuvre réalisée dans la ville à l’issue de moments d’errance partagée et de discussions sur leurs compétences mutuelles. Cette proposition permet de passer au crible un certain nombre d’enjeux, dont celui lié à la signature et à la propriété intellectuelle (qui n’est pas des moindre) ou celui tout aussi coriace des préjugés croisés entre les artistes et les riverains. Mais la question endémique que cette expérience aborde est celle de la légitimité artistique : qui a le droit de se présenter au monde comme un artiste et en vertu de quoi?
Laurent Lacotte a répondu le plus simplement du monde en formulant ces invitations. Il a construit un cadre sécurisé, spatio-temporel et juridique. Il a suggéré d’inventer  une règle ou un principe ensemble. Il a ouvert une brèche dans l’opacité du réel.
Son acte artistique a été d’offrir une permission. La permission pour l’autre d’envisager l’acte artistique. La possibilité pour l’autre de s’autoriser à pénétrer sur un terrain de jeu vertigineux car inconnu, mais soigneusement balisé. C’est par cette lorgnette qu’il faut observer ce pour être en mesure d’en percevoir la générosité.

Dans un même mouvement, Laurent Lacotte interroge ce qui fait une œuvre. La plupart de ses pièces sont visibles sur une donnée très courte dans l’espace réel, puis sous la forme de photos. Pour le spectateur il n’est pas forcément évident de distinguer ce qu’il a fait en dehors du cliché, et c’est ce flou même qui devient opérant. Le statut de sa production a longtemps en question. Œuvre, document ou archive : pourquoi trancher ? Il visite et revisite sa production dans un mouvement perpétuel où la même pièce a de multiples occurrences matérielles ou virtuelles, modifiée, augmentée au fil du temps. L’impermanence s’applique aussi ici, l’achèvement n’est plus envisageable en soi, au bénéfice de versions temporaires. Et à la question liée au droit de s’approprier ce qui n’est pas à soi Laurent Lacotte répond en évoquant la plus grande difficulté encore qu’il y a à s’approprier ce qui est déjà à soi.

Le travail de Laurent Lacotte s’inscrit dans une temporalité croisée où l’éphémère répond à la pérennité. Sa liberté répond à une volonté radicale d’horizontalité artistique et sociale. L’œuvre est partout, dans des formes changeantes et affranchies au maximum des contraintes dogmatiques. La nécessité qui fait loi est celle d’une pratique qui est toujours prétexte à échanger, à générer du mouvement, de l’espace pour penser et créer du lien. Face à la figure du chef d’œuvre s’érige le pêle-mêle, la multiplicité fugace de formes modestes vouées à disparaître pour redevenir poussière.

Noémie Monier, 2018.
Le Chassis #4, Support de la création émergente, printemps-été 2018
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Il est urgent le pro_grès pro_gramme, 2019
Duo show avec Thomas Guillemet
The Window, Paris
11 juin- 5 juillet 2019
commissariat : Indira Béraud
photos : © Salim Santa-Lucia

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La question de savoir ce qui permet de résister — c’est-à-dire ce qui permet de se soustraire aux logiques oppressives — est au cœur de l’enquête menée par Thomas Guillemet et Laurent Lacotte dans « Il est urgent que le pro_grès pro_gramme », présentée dans le laboratoire artistique en milieu urbain The Window, dans le cadre du projet « 50 ans après et alors ? », Catherine Bay et Svetlana Montua.
La pratique de Thomas Guillemet interroge généralement la relation impétueuse entre le corps et le numérique. Son regard se porte notamment sur les éventuels modes d’émancipation face à l’emprise des technologies. Laurent Lacotte, pour sa part, arpente les paysages, urbains ou ruraux, pour y greffer sa poésie, écho strident de l’actualité politique, mais aussi de la solitude contemporaine. Il déambule les rues à la recherche d’Espérance, manifeste seul sur les places publiques, revêt d’une couverture de survie la statue de la Liberté de Nice. À première vue, leurs pratiques peuvent sembler dissonantes, trop éloignées l’une de l’autre pour s’unir. Mais l’exposition présentée s’inscrit à la croisée de leurs recherches respectives puisqu’elle explore la relation poreuse entre ces deux espaces a priori publics, que sont Internet et la rue. L’intervention artistique vise à exacerber la dualité entre l’utilisation de ces lieux par les pouvoirs politiques et son usage par la résistance citoyenne.
Les slogans sont placardés. Immanquables, incisifs, ils se déploient dans l’espace public1, s’accumulent dans la galerie et colonisent l’esprit. Les tournures sont familières, vides de sens, elles s’apparentent sensiblement au discours politique qui tourne inlassablement en boucle. Mais ces formules ne sont pas les dires de politiciens. Le duo d’artistes a créé un algorithme générant des phrases adaptées à l’humeur du spectateur. Une caméra de vidéosurveillance située à l’entrée du lieu analyse les expressions faciales de chacun : joie, surprise, peur, dégoût et colère sont les cinq émotions détectables. Dans une société où le contrôle s’accroît insidieusement, déterminer le ressenti des individus s’avère crucial. Le « marketing émotionnel » en est un exemple éloquent : à l’aide d’outils propres aux neurosciences, les expressions des consommateurs sont décryptées dans le but de pousser à l’achat. Ce dispositif se transpose à d’autres sphères, on se remémore notamment le « crime de pensée » dans 1984 de Georges Orwell, où chaque individu pouvait être jugé sur un doute, non pas émis, mais éprouvé à l’encontre du parti au pouvoir.
Cette dynamique de surveillance s’appuie sur ce qui s’exprime au travers du corps : expression du visage, rythme des battements cardiaques, mouvement et dilatation des pupilles… Un procédé qui permettrait finalement de déterminer ce qui affecte l’individu, ce qui retient son attention et marque son esprit. Le théoricien Yves Citton place « l’affect au point d’articulation entre les deux domaines de rareté […] celui de l’attention et celui de la mémoire. »2 Dans le contexte actuel de surabondance d’informations, le rapport circonscrit que nous entretenons avec le temps structure une lutte tous azimuts pour l’obtention de l’attention dont dispose l’esprit. Les slogans, à mi-chemin entre l’affiche électorale et le panneau publicitaire, envahissent la galerie, de manière à ce que le spectateur ne sache où donner de la tête. Ils quadrillent méthodiquement l’espace, incarnant ordre et discipline.
Ainsi les mots s’alignent, décousus, mais structurés. Cette littérature, soumise à certaines contraintes formelles, dans l’agencement des éléments linguistiques et le choix des champs lexicaux, s’inscrit dans la filiation de l’OuLiPo. Elle s’inspire également du Cut-up, une technique de fragmentation du texte expérimentée par William S. Burroughs. Les césures artificielles qui ponctuent l’énoncé participent d’une poésie intempestive ; l’équivoque du langage est à l’honneur. En résulte un sermon au lyrisme narcotique, teinté d’une certaine touche d’humour. Narcotique certes, mais efficace. Les formules se composent d’éléments de langages bien précis propres à la communication politique. Efficaces, car objectives, ou plus justement parce qu’elles feignent l’objectivité. Le choix de la police de caractères Arial, réputée pour sa neutralité, n’est d’ailleurs pas anodin. Installée par défaut avec Windows, elle fut longtemps la plus répandue au monde. C’est en effet sous couvert d’anonymat que la propagande fonctionne le mieux. Et le jargon managérial se hisse au sommet du discours en tant qu’évidente vérité. À la fois cause et symptôme du capital, l’utilisation de ce vocabulaire par les pouvoirs publics scelle l’appartenance à l’idéologie libérale dominante. L’avènement de l’entreprise comme modèle de gestion atteste de la mise à mal — mais également de la complaisance — des États face à la montée en puissance de multinationales tentaculaires. Au regard de cette gouvernance et de ses dérives structurelles, des formes de résistance citoyenne s’organisent.
Au centre de la galerie, assaillis par le discours dominant, des masques de couleur noire trônent, dressés fièrement. Fabriqués à partir de matériaux de récupération — casques de baseball, rembourrage de peluches, câbles rilsan, sangles et autres pièces de quincailleries —, ils sont conçus pour déjouer la reconnaissance, se dissimuler à la vue des yeux mécaniques braqués à outrance. L’armature métallique qui épouse le visage travestit les expressions faciales et permet à son propriétaire de tromper l’algorithme.
Le corps astreint, déguisé, déformé, renvoie à l’univers BDSM, autant de pratiques dont les rapports de domination et de soumission sont au cœur du plaisir. L’esthétique de la violence ainsi sublimée, les hiérarchies sont renversées et l’emblème du masque devient celui de la défense des libertés fondamentales. Porté en guise de protection contre le gaz lacrymogène lors de manifestions, il est également l’accessoire indissociable du mouvement activiste Anonymous. Si Internet s’est imposé, à partir des années 90, en tant que nouvel espace social à inventer, il n’a pas échappé au système libéral actuel. D’abord aire de partage anonyme, ce réseau libérateur et réformateur a bouleversé la manière dont s’organisent les manifestations. Mais les plateformes les plus populaires, structurées par une « économie restreinte de l’attention »3, sont des entreprises privées dont la vocation est la récupération de toutes formes d’expressions singulières ou collectives pour servir leurs intérêts financiers. L’utilisation de ces réseaux demeure néanmoins garante d’une mobilisation massive, illustrant par là même l’ambiguïté de ces espaces. Ainsi érigées, les œuvres anthropomorphes invitent au soulèvement.

Indira Béraud

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1_Les affiches ont été posées dans les rues du 3e, 6e, 10e, et 20e arrondissements de Paris.
2_ Citton, Yves. « Esquisse d’une économie politique des affects » in Yves Citton et Frédéric Lordon, Spinoza et les sciences sociales : de la puissance de la multitude à l’économie des affects, Paris, Éditions Amsterdam, 2008, p. 59.
3_Stiegler, Bernard. « Chapitre 6. L’attention, entre économie restreinte et individuation collective » in Yves Citton, L’économie de l’attention. Nouvel horizon du capitalisme ?, Paris : Éditions La Découverte, 2014, pp. 121-135.
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Comme chez les sauvages, 2018

Exposition personnelle
Metaxu, Toulon
20 avril - 15 mai 2018

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Comment faire de l’art politique aujourd’hui… aujourd’hui, c’est-à-dire une époque où l’on ne croit plus à une quelconque dimension exemplaire de l’art — et les artistes moins que quiconque — mais où il serait bien méprisant de ne pas se préoccuper de la société. Convoquant des symboles forts au sein d’assemblages fragiles et éphémères, autrement dit du monumental absorbé dans une forme non-monumentale, les œuvres de Laurent Lacotte se faufilent entre les failles de ce double écueil de l’art-moralisateur-ou-indifférent et évoquent, proposent, suggèrent, attirent l’attention sur des points douloureux, à propos desquels il faudrait échanger pour apaiser des tensions, mais sans rien imposer, pas même de pérennité dans leur existence. Leur rencontre, visuelle, parfois sonore, offre un temps d’arrêt, de calme, de suspension, propice à l’introspection ou à la discussion, souvent amené avec humour, ce qui pour autant ne signifie pas une fuite face à la violence de certains débats. En témoigne le titre de l’exposition "Comme chez les sauvages" qui, dans le contexte toulonnais, renvoie directement à la fois au passé colonial de la France et à l’extrême droite, tous deux ayant marqué l’histoire de la ville, port méditerranéen relié à l’Afrique et l’une des premières mairies Front national. D’une manière plus diffuse, Comme chez les sauvages rappelle que l’on traite l’autre, celui qui fait peur, de sauvage.

Cependant, ici nulle frayeur n’attend le visiteur, nul individu patibulaire ne le guette au détour d’une salle, le titre est à prendre au second degré (ce qui ne signifie pas à la légère), comme arrière-fond, ambiance, contexte d’interprétation, selon une tonalité un peu grinçante, que l’on entendra d’ailleurs littéralement avec l’une des pièces de l’exposition composée d’une platine de disque dont la tête de lecture frotte sur un disque en carton à la place d’un vinyle. Dans cet esprit, dès l’entrée, le visiteur est accueilli par une sculpture aussi simple qu’efficace, un tourniquet de tir aux pigeons qui peut être actionné en passant, orné de colliers en fleurs synthétiques bleu-blanc-rouge, imitant ceux confectionnés par les vahinés qui les offrent — mais les leurs sont plus joyeux car multicolores — à la sortie des avions. Chasse aux pigeons (aux indésirables ?), couleurs nationales et rituel d’hospitalité convergent ainsi dans cette œuvre et placent l’air de rien le spectateur au beau milieu des problèmes les plus actuels. Mais libre à lui de s’y plonger, face à l’œuvre, dans l’exposition ou plus tard. Avec ses matériaux de pacotille, ce Tourniquet n’exerce aucune pression et n’exige rien de nous. Un peu plus loin, accroché sur le mur, lui fait écho Bonus, un petit cadre en bois dans lequel figure une photographie publicitaire pour un jet privé qui, dans cette configuration, apparait comme un jouet, mignon et dérisoire, avant qu’on ne se rappelle que ce « jouet » est celui d’hommes d’affaires ou de politiques puissants. Dans un jeu d’échelle troublant, la miniature incarne la mégalomanie. De plus, à l’un des coins du cadre, est suspendu un ruban de médaille, tricolore comme les colliers de fleurs du tourniquet, du type de ceux qu’on remet aux enfants lors de compétitions, voire d’anniversaires, ce qui insiste sur l’ambivalence entre jeux enfantins et apprentissage du pouvoir. Mais cet élément est également révélateur d’une autre dimension puisqu’il a été trouvé à proximité du Metaxu dans la rue. C’est que Laurent Lacotte prépare toujours ses expositions, autant conceptuellement que matériellement, à partir des lieux et territoires auxquels elles sont destinées. Elles sont tirées du sol où elles prennent corps. A cet égard, Ancrage, œuvre on ne peut plus in situ puisqu’il s’agit d’une ancre trouvée dans le port de Toulon et attachée à un pilier de soutènement laissé brut lors de la rénovation de l’espace d’exposition en 2016, prend tout son sens : elle relie l’artiste au lieu et le lieu à son site. Puis, sur le long mur de la première salle, a priori tels des rubans décoratifs —mais on revient bien vite de l’insouciance émanant de cette première impression — sont épinglés parallèlement des rouleaux de papier, plus précisément de tickets de caisse — sur lesquels ont été sérigraphiées des images de barbelés. Du décor mural au trompe-l’œil oppressant, fusionnant l’idée de consommation avec celle de clôture, cette œuvre intitulée Entourage est sans doute la plus évidente mais aussi la plus troublante de l’exposition. Elle met en image des rapports qu’on est loin d’ignorer. Enfin, trois autres œuvres, la pièce sonore précédemment évoquée, ainsi qu’une sculpture et une ancienne carte scolaire, ont toutes trois pour point commun l’Afrique, en lien avec le contexte social actuel, notamment à travers celui de l’environnement du centre-ville de Toulon, en pleine mutation, en plein chantier, où travaillent les ouvriers du bâtiment. Bouquet de chantier, une dalle de béton où ont été coulées des chutes de colonnes sèches récupérées aux alentours, couvertes par des gants, comme c’est l’habitude pour les protéger des intempéries, est une sorte d’hommage, drôle et sensible, à ces ouvriers, souvent sans existence officielle, sans papiers ni contrat. Associée à la carte scolaire accrochée derrière, une représentation de l’Afrique du point de vue des ressources à en tirer par les Européens, la sculpture prend néanmoins une tournure plus inquiétante, les mains colorées des gants — gants de chantier et aussi gants Mapa des employés de ménage — devenant moins dansantes qu’au premier coup d’œil, dressées comme des appels à l’aide. Quant à la pièce sonore intitulée Une Chanson douce, son disque de carton, prélevé sur des cartons d’une entreprise de déménagement, est orné de la figure d’un lion, roi de la jungle et symbole exotique de l’Afrique, mais aussi le lion d’une autre chanson douce et crépusculaire, celui qui est « mort ce soir », nous renvoyant à une image fantasmée de l’Afrique comme terre sauvage.

Ainsi l’exposition Comme chez les sauvages aborde toutes ces problématiques sociales politisées, qui font problème de manière souvent dramatique, en les associant ou en les confrontant tour à tour, suggérant que les unes sont l’envers ou la contrepartie des autres, ticket de caisse et barbelé, rugissement du lion et carton de déménagement, pour nous les rendre tout simplement présentes et sensibles.

Vanessa Morisset, 2018.
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Cortège, 2018

Un projet de Laurent Lacotte à l'invitation de Dector & Dupuy
Art3, Valence
12 mai - 30 mai 2018
photos : Laurent Lacotte & Nathan Lopez

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L’artiste entreprend une épopée gigantesque et dérisoire : une manifestation solitaire dans la ville.
Originellement, le cortège translate sous la forme du cérémonial un événement d’ordre privé dans un cadre public : une procession accompagne à la ville les défunt•es, marié•es, communiant•es, de la cour domestique à l’espace collectif. Le même phénomène prend ici une autre tournure : si Laurent Lacotte a collecté des slogans auprès d’artistes qu’il connaît comme auprès d’étudiant•e•s qu’il a rencontré•e•s cette année au sein des écoles d’art de Cherbourg, Beauvais ou Valence, ce bouche à oreille se prolonge par une pérégrination lors de laquelle l’artiste sera bel et bien seul. Un matériel de base - cartons, marqueurs noirs, tiges de bois - permet la réalisation des pancartes qui l’accompagnent au long de son cheminement urbain.

Il s’inscrit ainsi, en quelque sorte à rebours, dans une histoire des manifestations orchestrées par des artistes. Les avant-gardes du début du 20e siècle y ont tenu un rôle majeur, intriquant slogans politiques et recherches de nouvelles formes artistiques, à l’instar du « coin rouge » d’El Lissitzky ; plus près de nous, les Ateliers Populaires des Beaux-Arts, en produisant les affiches les plus marquantes de Mai 68, ont emprunté le même chemin. Peu à peu, si la forme se conserve, elle n’affirme plus qu’une sorte d’impasse : les participants au défilé que Jean-Jacques Lebel organise en 1973 à Saõ Paolo brandissent des pancartes blanches dans un Brésil bâillonné par la dictature (Le blanc envahit la ville), ou réclament unanimement la fin de la réalité (Philippe Parreno, No more Reality II, 1991), tandis que ceux de Mircea Cantor tendent à la ville son miroir (The landscape is changing, 2003). Se passant à l’occasion de mots, vidée de son altérité ou délaissant la cité, la contestation affirme un agir collectif incarné dans une foule assemblée par le dessein de l’artiste.
Celle réunie par Laurent Lacotte n’est que métonymique : il se fait, à lui seul, le porte-voix des paroles des autres, et donc de revendications qui ne sont pas les siennes - le protocole de carte blanche qu’il a choisi de mettre ici en œuvre l’oblige pourtant à les exprimer, fût-ce au prix d’une schizophrénie passagère. Laurent Lacotte parcourt aussi bien les bâtiments symbolisant l’autorité publique que des quartiers délaissés où son écho se perd. A chaque arrêt, les slogans inscrits sur la pancarte sont brandis à la face du monde. Ce cri d’un héraut annonçant une nouvelle qui n’en est pas une s’épuise dans le silence : dans ce monologue de sourd, Laurent Lacotte invite à une transformation sociale dont il n’est pas responsable et à laquelle personne ne répond.
Son cortège célibataire ébauche ainsi une ville découpée, morcelée, selon un dessin abstrait dont le sens commun n’est que cartographique. Si l’artiste arpente la ville, il ne s’agit plus d’y déceler des beautés cachées qu’on pourrait prélever et dont on pourrait faire comme un bouquet de fleurs sauvages : au contraire d’une poésie involontaire, Laurent Lacotte cherche à révéler des scissions qui ne disent plus leur nom mais qui relèvent d’une distribution organisée de l’espace public, d’une mise à distance méthodique entre la citoyenneté même et certaines populations.

La même logique l’anime lorsqu’il poursuit sa procession en rapportant les pancartes qui ont jalonné et justifié sa marche jusqu’au lieu où elles seront exposées. Ces dernières ainsi que les mots qui y sont écrits, s’entassent alors au-dessus des flashs de lampes stroboscopiques : la réalité sociale, éprouvée par l’usage de la ville et par la maîtrise de l’espace, apparaît de façon parcellaire lors de la visite. Tout est là, et pourtant il n’est possible de voir que le haut du panier : ce heap of language ne dévoile que son sommet, comme dans un iceberg, le plus gros reste immergé. La mosaïque des urgences se dérobe au regard qui voudrait l’embrasser d’un seul coup d’œil. Il faudra, sur les pas de l’artiste, contourner un feu de camp de signes : ces slogans reconduisent un chœur, celui de la contestation éternelle des cadres.

Ce qui est alors criant, à la place de l’artiste, ce sera sans doute que, dans un espace réservé à l’art, il ne reste de la ville que des fétiches : en revenant jusqu’à art3, le cortège embrasse finalement sa dimension symbolique par la transformation du verbe (les mots donnés par les participant•e•s) en un rituel (la procession dans la ville), puis du rituel en un talisman (les pancartes déposées dans l’espace d’exposition).

Jean-Christophe Arcos, 2018.


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Liste des contributrices et des contributeurs : Céline Ahond, Lotte Arndt, Alexandre Barré, Aziyadé Baudoin-Talec, Pierre Belouin, Anne-Sophie Bérard, Stéphane Bérard, Barthélemy Bette, Louise Boghossian, Camille Bondon, Marion Bonjour, Joseph Brécard, Pablo Cavero, Stéphane Chatry, Arnaud Cohen, Chloé Curci, Thomas Dalquié, Michel Dector, Regina Demina, Christophe Doucet, Demi-Tour de France, Damien Dion, Béatrice Duport, Michel Dupuy, Johanna Etcheverry, Jean-Baptiste Ganne, Thomas Guillement, Jeremy Guinoiseau, Jakob Gautel, Julian Gomez, Julio, Bafetimbi Gomis, Cari Gonzales, Jacques Halbert, Aziz Le Boubennec, Nathan Lopez, Flore Martin, MKNM, Arthur Mayadoux, Vanessa Morisset, Jonathan Naas, Laetitia Platillero, Davis Pons, Hubert Renard, Julien Roux, Pauline Sejourné, Louise Siffert, Paul Souvirion, Bénédicte Thoraval, Laurent Tixador, Rebecca Topakian, Mathieu Tremblin, Philémon Varnolé, Thierry Verbeke, Sylvie Vojik, Kelly Weiss, Lina Zegrani.
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Habiter, 2017
Installation dans le cadre de "Artère 2017, Parcours d'Art en extérieur".
Lauzun, Pays Val de Garonne-Guyenne-Gascogne
direction artistique : Christophe Doucet

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Pour répondre à la commande du parcours artististique ARTERE qui consistait à redynamiser les centres bourgs du pays Val-de-Garonne-Guyenne-Gas conne, Laurent Lacotte a décidé d’installer une cabane pour migrants en suivant les plans de celles de Médecins sans Frontières dans le village de Lauzun.

Son emplacement final dans le village n’a pas été évident. Il a soulevé beaucoup de questionnements et a témoigné d’une réalité compliquée lorsqu’il s’agit de placer un refuge dans l’espace public. Initialement prévue au pied du château de Lauzun, Laurent Lacotte a dû chercher un nouveau lieu pour cet abri lorsqu’il a appris le refus des propriétaires à accepter la cabane à proximité de leur faste demeure. Il aurait pu se retrouver au coeur du village. Mais, là encore, elle risquait de se se fondre dans l'ambiance de chantier des rues actuellement en travaux. Finalement, l'abri d'urgence a trouvé sa juste place en contrebas du village sur la presqu’île du petit lac municipal.

Lorsqu’on veut redynamiser un espace urbain, il n'est pas rare de faire appel aux artistes amenés souvent à se substituer aux acteurs locaux. Mais ici, c’est justement l’artiste qui propose de nouveaux acteurs. En choisissant de convoquer les populations migrantes et en redéfinissant les rôles, il propose une autre solution. La population stigmatisée prend alors le relais et joue la carte de catalyseur là où tout le monde à échoué. Mais au lieu de raviver la flamme des aprioris, Laurent Lacotte insuffle un courant de romantisme sur la la thématique des flux migratoires. Toute la douceur de ce phénomène prend source à l'emplacement précis de la cabane. Située au pied d’un saule pleureur, entourée d’eau, elle s’inscrit dans le paysage comme un lieu de rendez-vous, un point de rencontre. D’une contrainte à une autre, cette cabane MSF s’inscrit maintenant comme un nouveau lieu de protection à l'écart des zones de conflits en évoquant l'une des fonctions initiales du château situé à moins de deux minutes à pieds, celle de refuge pour les populations locales en temps de guerre. Par ailleurs ce projet n’est pas sans rappeler l’histoire de plusieurs villages en Italie qui ont repris vie grâce à l’arrivée de migrants. Les échanges humains ont réactivé le lien social là où il n’y avait plus d’espoir. En faisant travailler sur ce projet un lycée professionnel spécialisé dans les sciences de l'habitat, Laurent Lacotte a suscité des interrogations et a déplacé le regard porté sur les populations en exil.

Bien plus qu’une réflexion, ce projet permettra à tous les habitants de s’approprier physiquement une architecture inaccessible et d'évoquer la condition de femmes et d'hommes visibles habituellement que par le spectre médiatique. Ainsi, nous pouvons prendre possession concrètement d’une image qui était jusqu’alors cantonnée à notre imaginaire collectif.

Maylis Doucet, 2017.

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Presences, 2018
Exposition personnelle
Galerie Les Filles du Calvaire - La Vitrine, Paris

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Dans le cadre du Festival Circulation(s), la galerie Les filles du calvaire a invité Laurent Lacotte à investir la vitrine sur rue. Il y condense en trois photographies les figures qui marquent son imaginaire.

Trois piliers structurent l’exposition : l’espace connaît là une architecture triangulaire - ainsi se délimite pour Plutarque tout nouveau sanctuaire(1), par une forme géométrique témoignant de la stabilité, de la cohésion et de l’harmonie du lien divin. C’est pourtant à une exploration humaine, trop humaine même, qu’ouvre Laurent Lacotte, car les figures convoquées ici s’apparentent toutes à des situations de pertes, de sorties de route, de déraillements.

La plus urgente et la plus actuelle nous fixe depuis l’autre rive de la Méditerranée. A Nice, lors d’une visite exploratoire préalable à l’exposition Go Canny! à la Villa Arson(2) , l’artiste repère sur la Promenade des Anglais une solitaire reproduction de la Statue de la liberté scrutant l’horizon brumeux. La drapant d’une couverture de survie, il souligne d’un or chiffonné la faiblesse actuelle de cette gardienne, qui a fini par adopter, selon un inquiétant mimétisme, les oripeaux de celles et ceux qui tentent de fuir au-delà des mers. Phare peinant à dissiper le brouillard d’un monde en pleine détresse, GUARD se signale aussi bien au début d’une histoire des migrations qu’à la fin d’une logique européenne ne parvenant plus à rallumer son flambeau.

De cette nuit tombante, qu’aucune chouette apparemment ne traverse(3), semble émerger un panonceau indiquant une petite localité(4) : LA FRANCE. L’image frappe par sa proximité avec la grande tradition des films de suspense, ceux de Hitchcock ou de Georges Franju : dans l’épaisseur des ténèbres, les phares ne découpent qu’à l’aveugle un chemin de campagne, enfin un mot apparaît, l’indication de se retrouver enfin quelque part, en lieu sûr. Sentiment illusoire : on connaît la suite de l’histoire, puisqu’elle se reproduit à chaque fois, qu’à chaque fois le refuge n’abrite de rien, qu’au contraire s’y déroule la sordide mésaventure de héros désintégrés. Voilà, la France.

C’est de l’humus que vient l’humain, et à lui qu’il retourne. Dans la rue, une silhouette se couvre de feuilles mortes ; impassible, lasse peut-être, elle attend quelque chose qui paraît être déjà venu, un retour à la nature indifférente. CADUQUE emprunte à la vanité son humilité, au romantisme son sublime, et au contemporain sa banalité : ce qui crève les yeux rend aveugle.

Davantage que dans la dénonciation des peurs, des cruautés et des lâchetés qui façonnent le moche aujourd’hui, Laurent Lacotte se situe dans l’action. Les photographies de ces Présences ne renvoient pas à des mises en scène : les situations produites par l’artiste sont autant de sculptures éphémères qui s’inscrivent dans le réel. Si l’image se manifeste, elle charrie avec elle, dans cet espace sanctuarisé consacré à l’art, ce que le monde du dehors, voire des dehors, comporte d’obscène et de fané. Sous le papier glacé, les interventions de Laurent Lacotte perdurent par-delà la photographie, renvoyant de ce fait le médium au delà du cliché.

En défonçant à coups de masse les mobiliers d’empêchement anti-SDF, en ouvrant sa ligne téléphonique aux appels de citadins pensant appeler un mendiant ayant temporairement quitté son poste de « travail », ou encore en installant dans des lieux bucoliques une cabane pour migrants construite selon les plans de Médecins sans frontières, Laurent Lacotte active une dimension physique et politique toujours à l’œuvre dans ses productions.

En même temps qu’une métaphore passionnée et critique du processus photographique (révéler / fixer), peut-être peut-on voir dans cette présence de parias au sein de lieux d’art -où ils brillent souvent par leur absence sinon symbolique, du moins physique- la mise en œuvre d’une transformation du monde. L’artiste assume tout à la fois la modestie de son étendue politique et l’infini de sa licence poétique - l’invention, par l’image, de plus beaux demains.

Donner à voir s’avère dès lors aussi nécessaire qu’insuffisant : si, pour Démocrite, «la parole est l’ombre de l’acte», sans doute Laurent Lacotte cherche-t-il à approcher la part d’ombre d’actes politiques quotidiens, qui, avec cette ombre, gagnent en gravité jusqu’à peser dans le réel.

1 - Plutarque, Sur les sanctuaires dont les oracles ont cessé, in Oeuvres morales, Les Belles Lettres, Paris, 1972
2 - Go Canny! Poétique du sabotage, commissaires Nathalie Desmet, Eric Mangion et Marion Zilio, Villa Arson, Nice,
exposition du 10 février au 30 avril 2017
3 - "La chouette de Minerve prend son envol au crépuscule.", Hegel, préface aux Principes de la philosophie du droit,
Vrin, Paris, 1975
4 - Lieu-dit situé dans la commune de Lauzun (Lot-et-Garonne)

Jean-Christophe Arcos, 2018.

--> Lire l'édition réalisée à l'occasion de l'exposition et accomlpagnant cette dernière
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Bouquet de chantier, 2016
Tuyaux en plastique trouvés sur un chantier et réagencés sur un tas de pierre.
460 x 390 x 280 cm

Photo publiée par l'association Mulhouse Art Contemporain sur sa page Facebook en juin 2017 et ayant donné lieu à de
nombreuses réactions compilées dans l'édition "Le Lauréat" aux Editions Carton-pâte (octobre 2017).
--> Lire l'édition
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Héritage, 2016

Exposition personnelle
5UN7, Bordeaux
Photos : Laurent Lacotte & Remi Labarthe

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Artiste in-situationniste à l’esthétique polymorphe et aux préoccupations vastes, Laurent Lacotte produit une oeuvre formellement et théoriquement dense, dans laquelle se côtoient tout autant le béton que le néon, l’humour que la poésie, et toujours sous-tendue par l’exigeante volonté de révéler, de donner à voir comme à penser les tensions et les contradictions du monde contemporain. Sa démarche, qu’il déploie volontiers dans l’espace public, au coeur de zones intensément symboliques, mais qui conserve toute sa pertinence dans le white cube, se veut définitivement exotérique, tant dans ses manifestations que dans ses significations: le réel historique, le tangible du monde quotidien sont les matières premières d’un travail formel considéré avant tout comme un levier du discours. Bribes de fictions, fertiles amorces d’interprétations, ses oeuvres opèrent par confrontation conflictuelle ou aller-retours féconds entre l’art et le « reste du monde ». Manipulant malicieusement le hic & nunc éphémère de l’objet d’art ou sa restitution pérenne, Laurent Lacotte interroge moins le statut de l’art et de sa représentation institutionnalisée que sa capacité à provoquer une remise en cause de notre conscience collective, de notre espace historique partagé. Convoquant et réinterprétant avec récurrence les formes et les traces d’un passé hypothétiquement commun, il entretient un rapport soutenu à ce qui constitue la matière du patrimoine de nos prédécesseurs, à ce qui nous relie concrètement ou symboliquement à notre histoire.


C’est ce rapport singulier à l’héritage qui se manifeste plus sûrement encore dans l’exposition du même nom présentée à 5UN7: appréhendant une acception large du terme, Laurent Lacotte entend la notion d’héritage tant dans sa dimension intime, familiale ou génétique que politique et historique, et formalise le constat de leur inextricable lien. La transmission de valeurs, morales ou matérielles, peut aussi s’éprouver comme le legs d’un joug subi par ceux qui nous précédent. Maniant les restes de son patrimoine intime à l’aune des codes du design, de la guerre ou du capitalisme, il veut révéler par indices et jeu de relations la soumission douce et inconsciente de la doxa à des maux si ancrés qu’ils en deviennent fatalement acquis. Sous des dehors inoffensifs car rendus prétendument inopérants, les objets de Laurent Lacotte sollicitent néanmoins la réaction du spectateur en voulant engager une réflexion inévitablement politique. Oscillant entre spéculation fossile et fossiles spéculatifs, l’exposition HERITAGE, composée de travaux récents et d’oeuvres inédites, interroge notre position et notre possibilité d’action dans le monde que l’on a bien voulu nous laisser.


Arnaud Coutellec & Marc-Henri Garcia pour 5UN7, 2016.
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Trail, 2016

Un projet de Laurent Lacotte
Avec David Binard-Martin, Bernadette Caniou, Charles Quéguiner et Marwann Taji
PHAKT, Rennes

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Laurent LACOTTE est un artiste qui privilégie le travail in situ et conçoit généralement ses œuvres en fonction des contextes dans lesquels il se trouve. L’artiste utilise à dessein des matériaux fragiles et précaires pour réaliser des installations le plus souvent éphémères. Il intervient dans la rue, ou dans les zones sensibles de circulations humaines, de partage de territoires comme les zones de transit, les espaces séparés par des frontières invisibles mais sensibles. Il tisse ainsi des passerelles entre l’art et le quotidien, en explorant les notions liées à l’espace public et institutionnel, à l’intime et à l’universel.
 
Pour TRAIL*, c’est dans un principe d’égalité que l’artiste et l’habitant négocient les formes et les enjeux de l’œuvre, de l’approche du site à sa réalisation, de la conceptualisation à sa fabrication. Cette forme de collaboration basée sur les notions de réciprocité et de générosité, d’expert et d’amateur, se déroule sur une durée de 3 jours pleins.

Par exemple, avec David Binard Martin, Laurent Lacotte trouve une vielle tapisserie dans le grenier d’une maison non-occupée des Praires Saint-Martin. Elle constitue dès lors un point de départ, une mémoire des lieux. Les deux auteurs décident de coller ce papier peint sur un outil de construction - déconstruction, un godet, garé rue de Paris. Cette recontextualisation transforme l’objet en oeuvre éphémère et déplace les enjeux relatifs au projet d’aménagement des Prairies Saint Martin : expropriation d’habitants, histoires individuelles et collectives, démolition de logements et évolution de la ville.


Qu’advient-il alors lorsque cet espace de création, réservé habituellement aux seuls artistes, devient un lieu de partage entre amateur et professionnel ? Quel statut acquiert alors l’œuvre produite ?
 
Voici tout autant de questions que soulève l’artiste, qui introduit dans cette perspective des problématiques d’autorat, de signature de l’oeuvre et de droit d’auteur. Mettant à mal cette démarcation artiste/amateur par un principe d’égalité, le projet défend l’idée que ce processus de création déplace les lignes pour construire d’autres espaces de collaboration possibles. Démarche empirique et aléatoire à l’échelle d’un territoire, le projet dans son ensemble propose un geste de décloisonnement poursuivant, le temps d’une exposition, ce travail d’émancipation des pratiques artistiques et de l’espace politique de l’art.

*Sentier, piste, parcours


--> Lire la feuille de salle avec les textes des co-auteurs
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Ars Memoriae, 2016

72 règles de maçon en aluminium coupées en deux, béton.
1440 x 1320 x145 cm

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Le titre de l’installation de Laurent Lacotte, "Ars memoriae", « art de mémoire », diffuse sa double charge mémorielle. La première est celle d’une oeuvre, "Un moment donné", de Pierre Labat, produite pour Baleapop6 (2015), dont il remploie le matériau : 72 règles de maçon en aluminium, dédoublées par la découpe. Il émet ainsi une réponse jusqu’au-boutiste à l’invitation curatoriale de l’édition 7 du festival : formuler des déplacements d’oeuvres, rejouées en tout ou partie selon de nouveaux postulats de monstration. Puisque l’oeuvre ici rappelée n’est pas la sienne, qu’il se saisit des restes d’un(e) autre, le reconditionnement n’est plus temporel, ou spatial, mais substantiel. La question n’y est plus l’appropriation de matériaux manufacturés, mais de matériaux déjà sujets d’oeuvre. Laurent Lacotte leur refuse l’inaltérabilité, soulève ce doute : la matière n’étant pas la qualité nécessaire et suffisante de la pièce, aucune déférence ne lui est due a posteriori. La substantifique nature de l’oeuvre reste fatalement attachée à sa seule situation de production, ce postulat mortifère l’empêchant de durer.

L’autre charge de mémoire de l’oeuvre est liée à son ordonnancement : référence aux cimetières militaires, à leurs stèles uniformes fichées dans la terre, à leur rythme quai systématique, à l’ombre des arbres. Dans cette mise en abyme du souvenir d’une forme chargée du souvenir de personnes, aucun indice ne permet de lier ces réminiscences à des noms. La mémoire est générique, celle qui permet de nommer « cimetière » tout lieu de sépulture, quelles que soient ses singularités. L’on peut ici rappeler l’origine de l’expression "art memoriae" : méthode mnémotechnique d’apprentissage en usage dès l’Antiquité, consistant à déambuler imaginairement dans un bâtiment dont les pièces sont les gardiennes d’éléments visuels ou langagiers. Visiteur de ce lieu en rêve, l’orateur se rappelle des parties de son discours dans les salles qui se succèdent. Explorateur de ce paysage en pente, le festivalier projette sur ces règles métalliques ses propres souvenirs de nécropoles, soumettant ce champ fixe à l’épreuve de son mouvement de foule partiellement mécanique. L’apparence de la surface présume d’une occupation du sous-sol : mirage tremblant d’une stratification. La qualité de miroir trouble du métal renvoie l’événement à son accumulation de silhouettes en libre circulation, jouant à des jeux de vie, déjouant les fins possibles du divertissement.


Audrey Teichmann, 2016.

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"Remettre en jeu, Mettre en échecs."

La collaboration dans le cadre d’un projet comme "Ars Memoriae" brouille les pistes : les pistes du connu comme de l’inconnu. Si la forme contredit quelque peu le sujet, sa vivance et existence contredit elle même cette non forme. Le dispositif est mou, tangible, sous couvert pourtant d’emprunter l’écriture visuelle du cimetière militaire (un cadre normé plus que rigide au demeurant). Tout est mouvant au pays de Laurent Lacotte : l’écriture, le titre, la façon, la facture, rien ne peut être attendu. Le résultat est pourtant espéré. Une glissière vient consolider le fil des étapes du projet. Un rail confortable et réconfortant, invisible et pourtant très présent. Entrer en mouvement dans un processus dirigé, telle est l’invitation que nous fait l’artiste, prenant ainsi le contrepied de l’invitation curatoriale au sens le plus classique qui lui avait été faite.

Une fois sortie de terre, l’œuvre comme enraillée dans son processus - qu’est celui qu’impose le format événementie l- ne cesse de s’agiter. La norme n’est plus la norme, l’espace de monstration n’est plus sacralisé. Plus rien n’est important mais l’instant devient essentiel. L’inconnue que dessine Laurent Lacotte prend alors forme, dans le magnétisme que l’espace installe. Convoquant des images mentales, -process non sans évoquer le conatus de Boris Achour- , il projette visions passées et futures au sein d’une installation bien présente. Les corps se mettent en action, possédés par des désirs et angoisses qui ne leur appartiennent déjà plu. L’état d’urgence et d’interdit suggéré par la mise en lumière est transgressé.
L’art devient terrain de jeu et échappe à ses commandements. Lâcher prise, observer et jouir deviennent alors une réponse. L’œuvre n’est plus là pour être comprise ou intellectualisée. Le moment est suspendu, les théories en lévitation.

Le souvenir de cette expérience pourtant perdure, comme le fantôme d’une chorégraphie bien orchestrée.

Cécile Cano / Tropismes, 2016.
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The world we built, 2018

Exposition personnelle
La Conciergerie, La Motte-Servolex
02 février - 17 mars 2018
Photo : © Herve All

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Tout n’est pas joué d’avance et l’exposition n’est pas prête. Le sera-t-elle jamais ? Au moment du vernis- sage, et même dans les premiers jours d’ouverture, certaines œuvres sont encore en cours d’élaboration sur place. Car le contenu de l’exposition ne lui préexiste pas, pas plus qu’il ne lui survivra, en tout cas pas sous la même forme. L’une des caractéristiques du travail de Laurent Lacotte est de donner corps à ses œuvres de différentes manières, notamment en réalisant des installations éphémères qui revivent sous la forme de photographies, pensées non comme de simples traces d’actions passées, mais comme un état de l’œuvre succédant au précédent. Même les pièces qui semblent achevées comportent une part de métamorphose potentielle : réalisées auparavant, elles auront été transposées dans une nouvelle forme, elle-même non définitive, susceptible d’évoluer dans l’avenir. Ainsi, dans tous les cas, les œuvres de l’exposition comportent une part d’indétermination, et même d’improvisation dans le sens musical du terme, avec des ouvertures propices aux heureux hasards, aux rencontres inattendues, aux surprises que l’artiste a pour rôle de recueillir après les avoir suscitées.

Dans les espaces de la Conciergerie se côtoient alors des installations confectionnées in situ à partir de matériaux collectés en amont à la demande de l’artiste, aux alentours et au-delà — des objets aussi divers que des gyrophares, des mannequins de vitrine, du verre, du carton, des sapins de Noël — et un autre type d’oeuvres, de précédents travaux sont évoqués par des photographies, imprimées au format de posters, aboutissent à une mini-rétrospective évolutive. Plus précisément, ces images donnent à voir des installations, par exemple Le Banquet (réalisé avec de jeunes artistes étudiant à la Villa Arson de Nice) qui consiste en la disposition dans la rue de graines pour pigeons, au préalable teintées de colorants alimentaires, pour composer un drapeau bleu-blanc-rouge qui sera peu à peu grignoté par les oiseaux. Pêle-mêle sont aussi présentées des photographies du réel, des détails aperçus au hasard de balades et de voyages, par exemple le panneau indiquant la direction d’un village nommé La France, image où l’artiste joue avec le trouble du spectateur placé dans la situation de ne plus très bien savoir où il se trouve. Enfin, quelques sculptures faisant partie d’une série en cours, désignées sous le titre générique de Reliefs sont aussi présentées. Composées de blocs fragmentés scellés à des sièges, à l’origine du mobilier urbain anti-SDF que l’artiste a brisé à la masse et récupéré au cours de virées nocturnes, ces œuvres rappellent aux visiteurs de l’exposition la manière dont les sans-logis sont traités.

Par conséquent, l’exposition The World We built comporte une dimension de temps réel, au sens d’une concordance entre création et exposition mais aussi dans la mesure où la temporalité qui s’y manifeste connecte les œuvres directement à des problématiques de la vie quotidienne : la précarité et l’instabilité comme causes de vulnérabilité. Par le biais des matériaux dont elles sont issues, éphémères, caduques, ou rendus comme tel, les œuvres renvoient à la vanité de l’existence. Une installation composée de feuilles mortes qui s’accumulent sur une silhouette assise parterre dans la rue – un mannequin en résine que le passant perçoit comme un humain — s’intitule justement Caduque. Donnée à voir dans l’exposition parmi les posters, elle renvoie directement à la rue et à la misère qui s’y déroule. Dans le travail de Laurent Lacotte, la matérialité est vouée à la dissolution. La durée est ailleurs. Elle réside dans la force des projets qui portent les réalisations. Il faut en effet savoir qu’avant d’être rendues visibles, toutes les œuvres ont été précédées de périodes de prospection, aux aguets, lors de déambulations attentives, de repérages et de recherches, dans les villes et les campagnes, reflétant une manière d’être de l’artiste, constamment attentif au monde. Matérialité fragile des objets et immatérialité puissante du projet se combinent.

Le processus par lequel Laurent Lacotte créé ses œuvres correspond au fond à la suggestion d’une éthique de vie, y compris politique : elles en deviennent des métaphores. Réalisées sur le principe d’accorder sa con- fiance aux circonstances, aux autres et à soi-même, elles incarnent la volonté de favoriser la naissance du dialogue et des échanges, du mieux plutôt que du pire, projet entrainant sa propre performativité puisque les pièces qui en résultent contribuent à cette éthique. L’art que pratique Laurent Lacotte réinvestit par conséquent, dans le contexte d’aujourd’hui où les grandes utopies sont remplacées par les gestes effectifs de chacun, le domaine de l’activisme artistique. Un aspect de cette éthique est la multiplication de ses collaborations (pour Le Banquet, précédemment mentionné) et des propositions qu’il adresse à d’autres artistes, comme c’est le cas ici de l’invitation faite à Mathieu Tremblin de montrer une de ses vidéos, Occupy, dont le thème et la démarches rejoignent les préoccupations de Laurent Lacotte, ou à Pablo Cavero et Thierry Verbeke qui présentent chacun un drapeau, de faux étendards alternatifs, aux côtés de l’artiste qui a aussi conçu le sien.

Pour autant, comme on peut rapidement le constater, les œuvres de l’exposition ne sont pas optimistes. Une mélancolie les habite, par exemple dans l’évocation des espoirs déçus à travers la collecte de tickets de jeu perdants, l’un des works in progress présentés. D’autres pièces, allant de l’humour noir à l’ironie, en passant aussi par la poésie, témoignent d’une grande inquiétude quant à certaines orientations de la société contemporaine. Nous, photographie d’une pierre tombale en granit rose sur laquelle est gravé le pronom personnel de la troisième personne du pluriel, est ainsi une mise en garde sur ce qui pourrait advenir d’une communauté qui inclut le spectateur, produisant en lui l’étrange impression d’être à la fois enterré et présent, mort et vivant. L’image du paillasson portant l’inscription « Welcome » jeté aux orties est une allégorie du sort réservé aux étrangers. A proximité, comment dès lors interpréter la photographie intitulée The Good Life, donnant à voir le slogan d’une marque d’électroménager, qui semble chanter naïvement les louanges de l’existence ?

En somme, l’exposition, loin de nous conduire dans un autre monde, nous sollicite à propos de ce que nous pouvons encore faire pour celui-ci, The World we built, créant des espaces de discussion qui font tout autant partie du projet artistique que les réalisations en elles-mêmes.


Vanessa Morisset, 2018.
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La trace de l'éphémère

Interview par Dominique Dominique Bannwarth pour Novo Magazine n°43, novembre 2017.
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(extrait)

DB : L’espace public, c’est a priori un espace passant, visible de tous… Or tu as choisi de réaliser ton premier geste sous la dalle du marché du canal couvert … un lieu caché, dans la quasi obscurité…

LL :
Le lieu, complètement atypique, a été une évidence pour moi. J’avais envie de commencer par des lieux frappés de singularité. De plus, ce tunnel était en rapport avec certaines de mes problématiques. Silencieux il est situé sous l’endroit le plus vivant de la ville. Et c’est donc un jour de marché que j’ai choisi de l’investir. L’énoncé de la proposition de Mulhouse Art Contemporain évoquait des gestes. Du coup, l’idée de l’éphémère, de quelque chose qui n’allait durer que quelques heures s’est imposée. Pour cela j’ai décidé d’utiliser des objets qui avaient une durée vie déterminée à l’avance ; des bougies chauffe-plats. Leur emballage évoquait une durée de flamme de quatre heures.
J’ai donc conçu une œuvre plastique un peu augmentée en ce sens où elle était en simultanée une exposition à part entière (d’où le titre « Four ours exhibition ») qui avait un début et une fin. 200 bougies furent allumées dans au cœur du tunnel et vécurent, le temps de leur combustion totale. Cette zone de lumière donnée à voir un moment, a éclairé une zone de bas-fond, un endroit refuge pour des personnes de la rue, avec des traces qui nous laissent imaginer des vies chaotiques, abritées sous ces murs de béton et près de ce cours d’eau poétique qui éprouve le temps…
Il y a aussi comme une dimension politique dans ce premier geste… La dimension politique c’est aussi de faire une œuvre que peu de gens verront. Le faire dans un endroit un peu inaccessible, c’est un contrepied à l’art spectaculaire.

Novo n°43, p.58 & p.59
--> Lire le magazine

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Soledad, 2016

"Soledad", 2016
Sérigraphie sur sperme.
21 x 29,7 cm --> 30 ex
Franciscopolis Editions

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Laurent Lacotte a, une année durant, sur des périodes ponctuelles de célibat, collecté son sperme en éjaculant sur des feuilles de papier machine. Peut être par lubie, par humour, ou par provocation envers la fétichisation des œuvres et de l'acte créatif par les artistes. En travaillant avec "ce qu'il a sous la main", Laurent Lacotte semble vouloir répondre à ceux qui penseraient que "l'art, c'est de la branlette" en les prenant au mot. Mais derrière le jeu de mot potache et tendre, le process de création de Soledad (Solitude en portugais) cache l'envie pour l'artiste de réaliser une édition d’œuvres sérielles et uniques. Les traces de l'éjaculat séché sont toute différentes, elles sont toutes plus ou moins recouvertes par le même chiffre 1 sérigraphié. Le 1 comme symbole de la solitude, qui vient à la fois rappeler le recommencement continuel du cycle du désir, de jouir, de créer, mais aussi s'inscrire en opposition à la nomenclature des œuvres éditées en série. Laurent Lacotte viendrai t'il alors interroger la capacité des artistes à rendre unique le geste reproduit? Ou serait il en train d'essayer de recycler le temps égaré du plaisir coupable pour lui redonner de la valeur?

 

Raphaël Charpentié, 2017.
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Lorsque l’on évoque le travail de Laurent Lacotte, c’est très souvent pour le définir par le biais de l’installation in situ.
Pourtant, ce n’est pas tant cette notion qui devrait le spécifier mais bien mieux la capacité de l’artiste à s’emparer d’un inattendu pour le sublimer à travers une action, un presque rien qui lui permet d’en faire émerger les qualités poétiques.
Laurent Lacotte ne cherche ainsi pas les lieux et moments qui lui permettent de créer, ce sont eux qui viennent à lui lors de ses déplacements. Car l’une des pratiques récurrentes de l’artiste a trait à la déambulation ou plutôt à une certaine flânerie, proche de l’errance. Cet état volontaire, lui permet, au travers des trajets effectués, d’aller à la rencontre des gens, de partir à la découverte d’un élément, d’une perspective qui sera le déclic d’un geste artistique, d’un geste poétique s’autorisant à rendre visible l’invisible. Tout ici devient alors question de point de vue. S’approprier un espace, notamment l’espace public, c’est une manière de se sentir chez soi un peu partout. C’est aussi interroger ses règles. Par ce biais, la lecture du paysage de Laurent Lacotte bascule dans une parole plus politique et déborde largement le terme de ses actions questionnant notamment notre rapport au monde et à l’histoire.

Vincent Verlé, 2016.
Openspace

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Oeuvres accessibles, 2014
Socles en médium, peinture acrylique, oeuvres d’artistes en divers médiums .
Dimensions variables
Vue de l’exposition , «OEuvres accessibles», La Graineterie, Houilles.
Une proposition et une scénographie de Laurent Lacotte
Production : La Graineterie, Centre d’Art Contemporain.

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A l’occasion de son exposition d’été, La Graineterie accueille Laurent Lacotte. Cette invitation, il la transforme en une carte blanche curatoriale expérimentale. Conçue autour d’une double intervention, au sein du centre d’art et dans l’espace public, OEuvres accessibles permet à Laurent Lacotte de poursuivre ses réflexions autour des codes et dispositifs muséaux ainsi que des modes de sacralisation des oeuvres. Déjà usité dans son travail, le socle prend ici une omniprésence fondamentale. Ce mobilier muséographique, qui s’oublie souvent au profit de l’oeuvre qu’il sacralise et protège, devient le centre de toutes les attentions, l’élément phare d’une scénographie atypique où Laurent Lacotte n’expose aucune de ses oeuvres. Ici, il se fait l’initiateur d’une proposition artistique singulière où d’autres protagonistes font oeuvres.

Dans la Galerie du centre d’art, les oeuvres de treize plasticiens se laissent à peine deviner, nichées aux sommets d’une forêt de socles. Sculptures, installations, oeuvres graphiques, sonores ou olfactives, créations spécifiques et in situ… : à chaque socle correspond une oeuvre et un artiste différents. Ici, comme dans la ville, le projet global de Laurent Lacotte repose et impose un protocole d’intervention artistique. A La Graineterie, les invités acceptent le principe de dissimulation partielle de leurs oeuvres par leur support, qu’impliquent le détournement et le changement d’échelle opérés par Laurent Lacotte sur les socles. L’artiste étend même son action jusqu’à recouvrir la vitrine du lieu d’exposition donnant sur la rue par du blanc de Meudon. De l’extérieur, le trouble s’installe. Le lieu est-il même encore en ordre de marche ? La communication même de l’évènement est construite de manière à minimiser les informations sur les oeuvres exposées. Ici l’art contemporain ne se livre pas dans sa totalité. Inaccessible « physiquement », il laisse une place prépondérante au regard ainsi qu’aux projections personnelles du visiteur.

A l’inverse, à l’extérieur, en trois points de la ville, des socles minimalistes aux dimensions traditionnelles accueillent les objets personnels des passants, élevés dès lors au rang d’oeuvre d’art. Si Marcel Duchamp estimait que, décider en tant qu’artiste d’exposer des objets du quotidien pouvait en faire des oeuvres d’art, Laurent Lacotte permet ici à tout à chacun de créer son Ready made, de se sentir artiste ou tout du moins acteur d’un projet artistique. Là encore, l’individualité de chaque visiteur est en jeu, faisant oeuvre dans la rencontre avec le processus de Laurent Lacotte.

Si les oeuvres situées au sein d’un lieu dédié à l’art sont inaccessibles et surtout dissimulées en partie aux yeux du public ou des passants, le contexte de l’espace public offre quant à lui la possibilité d’un acte artistique en accès libre.

Laissant d’autres que lui devenir les acteurs du projet tout en s’attaquant à la fonction traditionnelle du socle, Laurent Lacotte répond avec un regard amusé voire critique à l’inaccessibilité présumée de l’art contemporain. Artistes invités et publics se rencontrent alors au croisement des territoires de l’art et du quotidien. Se jouant des contradictions et des habitudes, Laurent Lacotte livre une exposition généreuse, pleine de sens mais aussi de questionnements dont il nous faut, plus que jamais, nous saisir : ne pas stationner, accepter de se laisser perturber, s’ouvrir aux différences, à l’autodérision.

Maud Cosson, 2015.
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Exposition du 24 mai au 19 juillet, à La Graineterie et dans la ville.
Une proposition de Laurent Lacotte.
Avec Hervé All, Pierre Andrieux, Raphaël Charpentié, Matthieu Clainchard, Fabrice Croux, Sara Conti, Myriam Mechita, Nicolas Milhé, Les Frères Ripoulain, Azzedine Saleck, Triin Tamm, Amina Zoubir.
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Welcome, 2014

Barnums sans ouvertures, lests.
1100 x 300 x 325 cm
Vues de l’exposition «Architectures d’urgence», Pavillon Vendôme Centre d’Art, Clichy.
commissariat : Guillaume Lasserre
Production : Pavillon Vendôme, Centre d’Art Contemporain

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Le Petit Larousse donne comme définition d’une tente, un « abri portatif démontable et imperméable que l’on dresse en plein air ». C’est aussi la forme la plus élémentaire de refuge lorsque l’on a besoin d’un asile. Un barnum est défini par le Petit Larousse comme une « grande tente à toit plat et à parois amovibles, utilisée lors de réceptions ou de foires ». C’est aussi un espace qui renvoie au festif, à la légèreté, au plaisir… Welcome, l’oeuvre que Laurent Lacotte a imaginée pour la cour d’honneur du Pavillon Vendôme lors de l’exposition «Architectures d’urgence» se joue de ces deux définitions.
L’artiste dresse en effet trois barnums centrés dans cette cour d’honneur, tentes de réception génériques, que l’on peut trouver partout où se tient un congrès, une foire, une cérémonie… Mais ces trois barnums se présentent chacun d’une couleur unie ; l’un bleu, le deuxième blanc, le troisième rouge. De plus, cette forme d’abri généralement ouvert sur un ou trois côtés se retrouve totalement clos, rendant l’espace intérieur obsolète. Dans ce lieu fortement marqué qu’est la cour d’honneur d’un ancien pavillon de chasse du XVIIIè siècle, l’oeuvre de Laurent Lacotte montre un double langage; d’un côté des barnums adaptés à ce lieu de prestige, prêts à accueillir une réception, de l’autre une vision contemporaine de la précarité, caractérisée par le titre même de l’oeuvre. C’est bien cela qui caractérise le travail de Laurent Lacotte. OEuvre imaginée in situ, spécifiquement pour le lieu, Welcome s’inscrit dans la droite ligne de ses réalisations, en invitant le visiteur à porter un regard critique sur notre monde. A la fois décalé et plein de poésie, le travail de l’artiste souligne les absurdités d’une société schizophrène en mettant en scène des représentations de prime abord anodines mais qui montrent toutes de légères altérités permettant de souligner ces travers.

Gulillaume Lasserre, 2014.
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Camouflage, 2014

Mannequins en résine, plastique et métal, tenues de camouflage en tissu et plastique, peinture acrylique.
Dimensions variables
Vues de l’exposition, Musée International des Hussards, Tarbes.
commissariat : Magali Gentet, Nicole Zapata
Production : le Parvis, Centre d’Art Contemporain
Photos : ©Laurent Lacotte et PixbyNöt

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Invité depuis plusieurs mois par le centre d’art du Parvis pour mettre en oeuvre sur le territoire tarbais un programme d’expositions et d’interventions « hors les murs », Laurent Lacotte a proposé un projet contextualisé répondant aux particularismes des lieux. Cette invitation fut ainsi l’occasion pour l’artiste de dresser un portait robot de la ville de Tarbes, une cartographie géographique et sensible de cette société urbaine, qui a donné lieu à la réalisation de plusieurs oeuvres et interventions : Dont une installation éphémère en centre ville de Tarbes présentant un cabinet de Voyance imprédictible, une exposition à Omnibus convoquant, non sans critique, la figure de Daniel Buren, un des plus célèbres artistes contemporain français, mais également une intervention éphémère dans le jardin Massey rendant un hommage humoristique aux gloires locales. L’exposition au Musée Massey, inspirée par son étonnante collection de costumes et d’uniformes de Hussards, est la dernière étape de ce parcours artistique hors les murs. Avec l’exposition Camouflage Laurent Lacotte dresse un parallèle entre l’histoire de l’art et l’histoire du camouflage militaire né en France lors de la première guerre mondiale. C’est en effet, durant la « Grande guerre » » que l’armée française utilisa la première les compétences de différents artistes cubistes tels Fernand Léger, André Mare ou Jacques Villon pour qu’ils appliquent au camouflage leurs techniques picturales. Confrontée en effet à une équation plastique similaire, « intégrer la figure au fond », la peinture de camouflage s’est immédiatement tournée vers le système qu’offrait alors le cubisme pour intégrer l’objet à son environnement en déstructurant les volumes, les contours et les plans. Ainsi des Cubistes, réunis en février 1915 au sein de l’armée dans une section spéciale appelée “camoufleurs”, firent passer cette technique militaire passive à une stratégie active qui prit durant la première guerre, puis pendant les suivantes, une importance considérable. Au sein des collections du musée, Laurent Lacotte disperse une série de 5 mannequins habillés de vêtements de camouflage contemporain : des « Ghillies Suit », sortes costumes végétaux aujourd’hui utilisés par les militaires pour se fondre dans des paysages naturels. Les mannequins ainsi costumés sont grimés aux couleurs des murs des salles dans lesquelles ils sont implantés et se fondent littéralement dans le décor… étant autant montrés que cachés. Ainsi, l’intervention de l’artiste dialogue discrètement avec les collections du Musée consacrées à l’histoire mouvementée des Hussards. Au-delà des ponts historiques et artistiques évidents tissés entre l’histoire militaire et l’histoire de l’art, cette installation interroge une certaine idée de la déshumanisation de nos mondes contemporains, avec en point de mire l’illusoire tentative d’échapper aux moyens de surveillance de contrôle actuels.

Magali Gentet, 2014.
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Nous, 2013

Grès rose, acacia.
140 x 90 x 5 cm
Vues de l'exposition "Spectaculaire aléatoire", Fiac.
commissariat Patrick Tarres

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{…} C'est au bout d'un chemin qui contournait un gros corps de ferme qu'après avoir perçu des sonorités évoquant l'accompagnement d'un rituel nous tombions sur une stèle porteuse d'une inscription lapidaire et élégiaque : NOUS.Coutumier des matériaux précaires et des installations éphémères, Laurent Lacotte nous surprend avec ce monument de pierre gravé ; est-il commémoratif, funéraire ou religieux? C'est ici que commencent les questionnements riches et complexes que l'artiste aime induire par son travail d'instigateur poétique à la portée critique clairement assumée. Qui est ce NOUS? Nous tous, ou les hôtes de l'artiste qui vivent en collocation dans cette grande maison où chacun est sensé trouver sa place dans un vivre ensemble concerté? Si nous reprenons les mots de l'artiste, un postulat optimiste ne tient pas le choc. (Les utopies collectives, l'histoire nous le rappelle trop souvent, si belles soient-elles, sont vouées à la dissolution des groupes. Quels en soient les déclencheurs, les chemins jadis liés reprennent leur quête solitaire. En amour, dans le travail, mais aussi dans la séparation inévitable liée à notre condition mortelle). Les oeuvres de Laurent Lacotte ne sont cependant ni désespérées ni exemptes d'humour, elles fonctionnent plutôt comme des alertes. (Lors des médiations, je me revois dire au public : "Regardez cette stèle et voyez plutôt ce qui NOUS attend si NOUS ne saisissons pas le défi de vivre ensemble à bras-le-corps". Par ailleurs, j'ai souhaité que tous les membres de la colocation participent au projet dans son entièreté. Le graveur a donc gravé, l'ébéniste a donc réalisé le socle en acacia et les musiciens ont composé une boucle sonore de 1 min 13s). Minimale et froide, cette pièce convoque des sensations fortes et c'est en cela qu'elle est spectaculaire, la peur de la mort, la nôtre, celle des autres et de l'humanité toute entière, quoi de plus aléatoire que la mort.

Patrick Tarres, 2014.
Catalogue "Spectaculaire aléatoire", Fiac + si affinité (14 édition), édition Afiac et les Abattoirs, Frac Midi-Pyrénées.

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Le bureau, 2014

Matériaux divers.
Dimensions variables
Installation dans les locaux de la direction de la culture du Conseil Général de l'Essone, Courcouronnes.

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En octobre 2014 Laurent Lacotte a donné vie à un nouveau collègue dans les locaux de la direction de la culture du Conseil général de l’Essonne. Suite à un déménagement, il a été demandé à Laurent Lacotte de proposer une création pour ces nouveaux locaux dans un contexte particulier. En effet, la direction de la culture qui était au siège du Conseil général de l’Essonne a été implanté dans un immeuble administratif des années 80, entre une banque et une société d’assurances. Dans ce monde de travail à l’opposé d’un open space, tout le monde ou presque a un bureau individuel. Le 114 a été libéré et affecté à ce collègue fantôme avec un aménagement hors norme par rapport au mobilier mais tout à fait représentatif des envies de personnalisation d’un tel espace. Cartes postales, plantes vertes, revues, livres viennent donner les premiers éléments des goûts et de la vie de ce collègue. Depuis l’installation dans son bureau il prend de plus en plus corps. Il, puisqu’il s’agit d’un homme, choix collectif et choix évident dans cet environnement très féminin, fait beaucoup parler. Son nom aussi a été décidé de manière collégiale au moment de l’inauguration.Sa vie au bureau est devenue presque palpable. Il a reçu son lot de cartes de visite avec une fonction liée à une mission transversale. Une boîte mèl a été créée, il a aussi une ligne de téléphone et il réserve même des voitures pour aller à ses rendez-vous. Tout le monde nourrit cette fiction, tous ses collègues, réels ceux-là, participent à lui donner une existence. Il reçoit du courrier et une veste présente dans son bureau indique parfois qu’il est dans les locaux. Son bureau, très accueillant avec ses fauteuils et son canapé, est souvent utilisé pour les rendez-vous, générant une certaine surprise pour les invités. D’autres informations sur ce personnage viendront petit à petit. Verra-t-on la photo de ses enfants s’il en a, est-il marié et quels indices en donne l’information ? quel âge a-t-il ? organisera-t-on son départ à la retraite ou se suicidera-t-il avant ? Tous ces marqueurs de la vie au travail suivront aussi l’évolution d’une direction de la culture dans un Conseil général à l’heure de tous les doutes sur ce secteur d’activité et sur cette institution.

 

Didier Schwechlen, 2014.

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Le bureau de Jean-Patrick
Interroger le vide en rendant visible l’absence est une des thématiques qui traversent le travail de Laurent Lacotte ces dernières années. A rebours de Néant (2013), dans laquelle le néon rouge renvoyait à l’insignifianc
e de sa forme, l’installation Le bureau de Jean-Patrick propose un vide pour faire émerger le discours. L’installation présente un bureau inhabité au sein des nouveaux locaux de la direction de la culture du Conseil Général de l’Essonne. Il serait tentant de voir une référence aux autres œuvres de l’artiste dans le choix du mobilier – acheté chez Emmaüs – ou dans la décoration composée d’affiches et de cartes postales collées au mur ; mais l’artiste refuse l’intertextualité en impulsant par cette présence-absence l’élaboration d’une véritable fiction commune à tous les agents de la direction de la culture. Le bureau abandonné est seulement la partie émergée de l’œuvre. Il est en réalité le support de la mythologie que construisent les collègues de Jean-Patrick – eux encore présents. Donnant lieu à diverses opérations pirates comme la création de cartes de visites répondant à la charte graphique du département ou l’intervention des services techniques pour réparer le canapé défoncé de Jean-Patrick, ce bureau et son personnage deviennent un espace de résistance de la direction de la culture contre la direction générale – qui n’a d’ailleurs pas pris la peine de venir voir le résultat de la commande passée à l’artiste. L’œuvre se fait donc écho du recul de la culture dans les départements et plus largement dans l’institution publique ; car le bureau vacant de Jean-Patrick n’est pas le seul. Les postes sont de moins en moins renouvelés. Les temps partiels se multiplient. Les bureaux se vident. Pour autant, il n’y a aucune complaisance ni fascination morbide. La magie de cette œuvre réside dans la mise en lumière de ce qui reste après un départ : les mots des autres et le souvenir qu’ils composent. Ici, rien de désespérant, au contraire, il y a du jeu à défier les rouages des demandes interservices, de la vie à faire ses réunions ou prendre le café du matin dans le bureau déserté par Jean-Patrick, du désir de continuer de construire ensemble au sein de la direction culture. Laurent Lacotte avait enterrée la possibilité d’être ensemble avec Nous en 2013. Il semblerait que finalement l’utopie ne soit pas totalement morte. L’absence de Jean-Patrick relatée et nourrie par ses collègues affirme fortement que la parole partagée est le ciment de la culture.

Arthur Mayadoux, 2014
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Avis de tempête, 2013

Tubes de carton, bois, adhésif, cordes de chanvre, gyrophares, batteries.
1400 x 1000 x 600 cm
Vues de l'exposition, Rurart Centre d'Art Contemporain, Rouillé.
commissariat : Arnaud Stines
Production : Rurart Centre d'Art Contemporain
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La lumière orange éclaire l’espace d’exposition de manière saccadée. D’un peu partout le rythme des gyrophares anime la gigantesque structure tubulaire qui se dresse là, du sol au plafond, à travers tout l’espace. L’assemblage de milliers de tubes de carton quadrille le centre d’art pour former une architecture filaire omniprésente, un empilement de cubes qui matérialise le territoire qu’il occupe dans toutes ses dimensions. La lumière tournante des gyrophares (les mêmes que ceux que l’on trouve à l’arrière des engins agricoles) découpe l’espace au rythme des obstacles qu’elle rencontre, régulièrement, mécaniquement. Au fil de la journée et de la charge déclinante des batteries qui l’alimente, elle va décliner, cette lumière orange. Les gyrophares tourneront plus lentement, la lueur se fera plus faible, comme si la lassitude gagnait petit à petit le dispositif en place. Puis, pendant la nuit, les batteries seront rechargées, prêtes à affronter une nouvelle journée, jusqu’à la nuit suivante. Des cordes descendent du plafond. Au rythme stroboscopique des faisceaux lumineux, elles apparaissent ça et là dans l’installation, se confondant avec a colossale cage de carton. D’épaisses cordes de chanvre qui s’enroulent sur le sol. Des cordes à se pendre.
Cette œuvre, Laurent Lacotte tenait à la réaliser depuis longtemps et a trouvé à Rurart les conditions nécessaires et le contexte pertinent pour sa finalisation. Elle s’appuie sur une réalité sociale, le mal- être de plus en plus important de nombreux agriculteurs qui doivent souvent faire face à la fois à une situation économique qui se dégrade, à l’angoisse liée à un avenir incertain, à l’inquiétude de voir se perdre le patrimoine familial, à l’isolement et à la solitude affective parfois. D’après une enquête réalisée par l’Institut national de veille sanitaire en 2010, avec près de 400 cas par an le taux de suicide chez les agriculteurs est trois fois plus important que chez les cadres. La pièce monumentale de Laurent Lacotte trouve ses racines dans ce tabou. Les matériaux pauvres, communs, si communs qu’ils en deviennent invisibles au quotidien. Des matériaux dont la valeur marchande est dérisoire. Des matériaux interchangeables, bons à jeter. Comme ces hommes dont le travail de Laurent Lacotte met en évidence la condition sociale. L’œuvre de carton est périssable, éphémère et fragile.Prête à être détruite sitôt construite, elle semble faire écho à l’équilibre instable sur lequel repose le monde contemporain, où la précarité pointe pour beaucoup, au vent violent du libéralisme. Avis de tempête. Si le titre de l’exposition fait référence au monde agricole, pour lequel la tempête est peut-être vécue de manière encore plus dramatique dès lors qu’elle menace les récoltes, source de revenu annuel dont dépend la subsistance des familles, il renvoie aussi à une réalité sociale plus large, la tempête économique frappant, elle, sans relâche,sans distinction, sans frontière.

Arnaud Stinès, 2013.

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Buren n'expose pas, 2013

Tissu, parpaings, pieds de cinéma, halogènes.
Dimensions variables
Vues de l'exposition, Omnibus, Tarbes.
commissariat : Magali Gentet, Erika Bretton
Production : le Parvis, Centre d'Art Contemporain / Omnibus
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À l’invitation d’Omnibus, Le Parvis centre d’art propose à Laurent Lacotte de réaliser une exposition dans la vitrine du célèbre laboratoire de propositions artistiques contemporaines Tarbais.Depuis plusieurs mois en effet, Laurent Lacotte accompagne le projet hors-les-murs du centre d’art, tissant un réseau de partenaires qui accueillent expositions et autres interventions éphémères. L’espace public, les structures artistiques locales, mais également la sphère privée sont autant de lieux investis par les œuvres de Laurent Lacotte questionnant ainsi les relations que l’art contemporain tisse avec son environnement immédiat. Pour Omnibus, Laurent Lacotte convoque la figure d’un des plus célèbres artistes français, reconnu internationalement pour la manière quelque peu radicale avec laquelle il utilise depuis près de 50 ans un motif unique. À savoir des rayures à bandes larges, alternées noires et blanches ou noir et couleurs.C’est en effet en 1965 que Daniel Buren choisit d’utiliser un tissu industriel à bandes verticales alternées, blanches et colorées, d’une largeur de 8,7 cm. Partant des possibilités multiples offertes par ce support, l’artiste mène une réflexion qu’il transpose en peinture et en installation, interrogeant ainsi les modalités de création et de présentation de ses œuvres. Et plus largement encore, interagissant de manière directe avec l’environnement dans lequel il intervient.À une journaliste qui moquait son emploi systématique voire abusif de ce motif unique, Buren répondait : "Ce qu'il faut comprendre, c'est que je n'expose pas des bandes rayées, mais des bandes rayées dans un certain contexte, qui, lui, change sans cesse. Qu'elles soient imprimées sur un papier ou un tissu, gravées sur un mur ou sur des escaliers, qu'elles se trouvent dans un musée ou dans une rue, elles sont devenues pour moi un "outil visuel" dont la fonction est de révéler par son emplacement les caractéristiques du lieu qu'il investit. Ainsi, pour Laurent Lacotte convoquer Buren et sa pratique de "l’in situ" à Omnibus relève du clin d’œil artistique autant que du soutien aux structures fragiles faisant ainsi écho aux difficultés que ces dernières peuvent traverser en ces temps de crise : précarité, manque de moyens et nécessité de faire du « name dropping » afin de se donner plus de visibilité. Autant dire qu’avec Daniel Buren la gageure est relevée! Le titre de l’exposition, à prendre également au pied de la lettre puisque c’est Laurent Lacotte qui expose, évoque une manifestation que Buren a réalisée en 1967 au Musée d’Art Moderne de la Ville de Parvis dans laquelle l’artiste a décroché de l’exposition qui lui était consacrée, les peintures qu’il venait d’installer. Il rappelle également la célèbre formule de l’artiste selon laquelle il "n’expose pas de bandes rayées". Dans l’espace d’exposition, les six socles qui reçoivent autant de tissu rayé noir et blanc ne sont pas sans rappeler une des plus célèbres œuvres de l’artiste, Les deux plateaux : la polémique forêt de colonnes rayées noir & blanc installée dans la cour d’honneur du Palais Royal à Paris.Au sol serpentent éclairages et câbles, ils théâtralisent l’exposition dramatisant une scénographie faite de bric et de broc. Les socles sont en effet constitués d’une juxtaposition de parpaings trouvés dans les caves d’Omnibus et les éclairages font aussi partie des vestiges du lieu. À l’image de la démarche de Buren, les œuvres de Laurent Lacotte interrogent systématiquement le lieu qui les accueille et pour lesquelles elles sont conçues, révélant ainsi les particularités signifiantes de l’espace et de ses usages.

Magali Gentet, 2013.
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Totem, 2019
40 matelas en mousse, housses en coton, peinture, câbles métalliques.
190 x 90 x 145 cm
Vue de l'installation dans le cadre de la biennale "Love Data", La Teste, FR.
Commissariat : Irwin Marchal

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Les GAFAM aujourd’hui sont partie prenante de nos vies et de nos quotidiens. A l’heure des économies de l’attention, aucune de nos pulsions, aucun de nos mécanismes addictifs n’échappent à une appropriation intéressée de la part de ces géants omniprésents.
Nous espionnons, nous comparons, nous notons mais surtout nous acceptons servilement de participer à ce système où nos intimités même sont vouées à disparaître au profit d’un nivellement algoryhtmé de nos actions et ressentis. Le "Love" aujourd’hui se décline donc sur les internets en quelques maigres gestes répliqués simultanément. Des millions de fois. A chaque seconde. Sur toute la planète. Et là, nous stalkons et nous scrollons. Etre "stalker" aujourd’hui ne veut pas forcément dire être harceleur. La frénésie qu’implique l’espionnage de l’autre à travers les réseaux peut conférer à une névrose certes, mais une névrose savamment orchestrée par les génies du web.
Nous confisquer notre temps de recul face à un crush amoureux, nous voler nos précieuses facultés de penser, nous inciter à tout savoir immédiatement ou a croire que cela puisse être rendu possible grâce à ces outils redoutables que sont les plateformes sociales, voilà ce qui peut rendre le "Love" à l’heure du "Data" plus complexe que nous, utilisateurs, aurions pu le croire.
L’empilement de matelas dans cette sculpture renvoie aux différentes informations, images, textes, comptes d’utilisateurs que nous faisons défiler sur nos écrans. Cette verticalité est un écho aux architectures des applications internet que nous utilisons. Elle renvoie aussi de manière plus frontale aux multiples histoires rendues possible via les réseaux. Activations, réactivations. Autant de personnes rencontrées, autant de micros-histoires générées, consommées, compilées, empilées. Mais, ces matelas sont des matelas une place. Une certaine notion de solitude est ici convoquée. Une solitude pesante, présente et qui dépasse l’échelle du spectateur pour culminer à plus de quatre mètres de hauteur. Amarrés au sol par des câbles métalliques, ces matelas pourraient, s’ils n’étaient pas ainsi fixés, tomber au moindre assaut extérieur. L’édifice reste fragile.
Au pied de la tour matelassée, mordant sur les deux premiers matelas, une inscription réalisée à la bombe de peinture aérosol : "Vu". Ce mot signifie à un utilisateur Instagram si la personne à qui il s’adresse a lu son message. Dès lors, et s’il est amoureux, libre à lui de mesurer si le temps que mettra la dite personne à lui répondre participe d’un amour partagé ou à l’inverse, révèle un certain désintérêt à son encontre. Un rapport au temps indexé sur l’outil se met alors en place. Cette indexation de nos sentiments à une tierce entité, nous renvoie l’idée qu’on l’on peut se faire de la réalité d’après des représentations, des scénarios qu’on l’on se fait. Une façon de réduire le réel aux spectres rendus possibles par les formats en place. A des réductions pouvant s’avérer dangereuses.
Aussi, la solitude narcissique nourries par les réseaux, visible par ces lits une place confère une dimension de plaisir solitaire quasi littérale à l’installation, celle de nos consommations pornographiques, elles aussi soumises à de redoutables ingénieurs. Enfin et surtout, ces matelas blancs nous renvoient aux messages vides, aux messages sans réponses mais que nous consultons sans cesse.
Seuls face à nous-mêmes. Nus et dataifiés.

Laurent Lacotte, 2019.

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Ouvertures, 2013

Socles en médium, peinture acrylique, objets du quotidien.
Dimensions variables
Cité de l’Avenir, Paris
Production RIVP, Mairie de Paris
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{…} Dans le projet de la Mairie du 11ème, les deux temps, celui de la production avec les habitants et celui de la restitution par le biais de l’exposition, sont tenus face à face et à égalité : cette dialectique est maintenue, et l’opposition qui la fonde trouve sa réconciliation dans une mise en tension polaire de ces deux moments, puisqu’aucun d’eux n’est privilégié. Même s’ils se succèdent ils sont aussi importants l’un que l’autre. Avec ses cubes blancs installés dans le jardin commun, Laurent Lacotte propose aux habitants d’expérimenter par eux-mêmes le mode de légitimation qu’est le socle, comme métonymie du white cube, et de réinterroger par la pratique la notion d’espace d’exposition au sens large. En cela, son projet tient tout entier dans la mise en pratique de cet instrument culturel quasi-magique. Ce qu’il présente dans un second temps pour l’exposition, c’est la structure globale du processus, comme l’énonciation sèche des règles du jeu : les socles nus, coupés de leur usage et rendus à leur état d’idéalité pure, y tiennent la place de méta-objets. {…}

Clémence Agnez.
Catalogue «Ouvertures», Mairie de Paris, 2013.

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Statuaire publique, 2013

Carton, polystyrène, colle, bois, sable.
375 x 350 x 285 cm
Jardin Massey, Tarbes.
commissariat Patrick Tarres
Production : Le Parvis Centre d'Art Contemporain.
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L’installation Statuaire Publique est une oeuvre éphémère de l’artiste Laurent Lacotte installée en plein coeur de Tarbes, au jardin Massey, et constituée d’une accumulation de cartons semblant dessiner un paysage pyrénéen. L’intérieur des cartons révèle en creux différentes représentations, ou silhouettes,appartenant à la culture populaire et urbaine locale mais aussi aux beaux-arts et notamment à la statuaire publique. Ces formes sont en fait creusées dans le polystyrène qui remplissait initialement le carton,un peu comme si cette matière qui accuse l’extraction du motif pour n’en garder que l’empreinte nous ramenait à un fantôme d’image, à l’absence du modèle et en quelque sorte de l’oeuvre elle-même.
Tous les symboles de la ville y figurent : tels les nombreux Palmiers qui ornent le centre ville, le Cheval figure emblématique de la cité et de son Haras National, un Hussard combattantillustre des armées de Napoléon Ier et icône du Musée éponyme, la statue du Maréchal Foch natif de la ville, des armes et munitions produites jusqu’il y a peu dans les usines locales etc... Et c’est ici que cette installation prend tout son sens, quand elle interroge avec une force évidente la place essentielle que l’art et l’artiste doivent tenir au coeur des vécus urbains.

Extrait du communiqué de presse de l'évènement.
Jardin Massey, Tarbes. Du 24 octobre au 5 novembre 2015.
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Moon, 2013

Résine vieillie en hangar agricole.
Ø 117cm
avec Raphaël Charpentié
Photos : ©Fabien Clerc

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«Moon» est une réalisation née d'une expérience singulière au coeur de la Dordogne. J'ai décidé en septembre 2013 d'investir un hangar agricole tombé en désuétude. L'arrangement passé avec la propriétaire, une agricultrice à la retraite vivant à proximité, visait à pouvoir disposer d'éléments entreposés dans ce hangar depuis plusieurs années afin de produire des oeuvres. Ceci à condition de mettre de l'ordre dans un fouillis s'étant densifié au fil des ans et de faire la cuisine sur les temps de présence. De cette démarche digne d'une «archéologie du quasi présent» ont été exhumés une multitude d'objets retraçant la vie et le labeur de la vieille dame et de son mari. Au delà de la dimension intime resurgissant du passé, c'est bel et bien un monde disparu qui fût convoqué mettant ainsi en exergue les mutations que nos sociétés ont pu traverser ces dernières décennies. Le hangar s'étant peu à peu transformé en un musée du temps qui passe s'est vu, une fois la phase de rangement terminée, le réceptacle d'expérimentations artistiques multiples. Des expérimentations teintées d'une certaine pudeur et d'un profond respect envers les fantômes rencontrés. C'est dans ce contexte que «Moon» fut réalisée. Ce couvercle de cuve à vin patiné par le temps a été retrouvé sous un tas de plus de vingt mètre cube de sable. Accompagné alors d'un autre artiste invité sur place, nous avons décidé de le montrer en l'état, de le nommer, lui conférant ainsi le statut d'oeuvre d'art. «Moon», initialement couvercle d'une cuve à fermentation de raisin, se voit à son tour transformé par l'alchimie artistique ; une alchimie née d'une volonté d'expérimentation, de partage et de certains heureux hasards.

Laurent Lacotte, 2013.
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ClairVoyance, 2013

Local commercial, vitrine, peinture acrylique, néon, machine à fumée.
Taille du néon : 98 x 23 cm
Vue de l'installation, centre ville de Tarbes.
commissariat : Magali Gentet
Production : le Parvis, Centre d'Art Contemporain.

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ClairVoyance est une œuvre installée dans un local commercial à louer de la rue Desaix, une des rues centrales de Tarbes. Annoncée par voie de presse locale et de flyers publicitaires, cette boutique se présentait comme un nouveau cabinet de voyance dans la ville. Mais, de la rue, on ne pouvait voir qu’un épais nuage de fumée qui obstruait la vitrine traversée par l’enseigne lumineuse en néon jaune de la boutique : ClairVoyance. Une vitrine impénétrable en quelque sorte, empêchant les badauds d’y voir plus loin que le bout de leur nez, un comble pour la destination annoncée de la boutique. L’installation de Laurent Lacotte réhabilite pour un temps donné, celui de l’exposition, l’une des nombreuses boutiques du centre ville tombée en désuétude. Elle affiche clairement le manque de voyance d’une municipalité pour le cœur économique de sa ville en période de crise. Elle met en même temps en lumière le lien parfois tabou que nous entretenons avec l’irrationnel. Cette œuvre voit le jour dans une période d'incertitude généralisée.

Extrait du dossier pédagogique de l'exposition "Camouflage", une exposition de Laurent lacotte au Musée international des Hussards de Tarbes, du 6 mai au 22 juin 2014.
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Coworking, 2015

Affiche sérigraphiée.
35 x 50 cm
Affiche N° 128 de la collection ART? éditée en sérigraphie par Alain Busye.

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Nous voulons une Europe qui parle d’une seule et même voix, mais dans toutes ses langues, de toutes ses âmes.” clamait Fernando Pessoa.A l’heure où l’utopie se heurte aux tensions du réel, qu’en est-il de notre co-construction ? Des personnages lambda s’affairent à colorier un drapeau européen surdimensionné dont les contours sont dessinés sur le mur d’une ville européenne ou frontalière. Le matériel du peintre est mis à la disposition de chaque passant. Libre a quiconque de participer à sa façon en respectant ou non les règles du jeu.

Laurent Lacotte, 2015.
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Pine Needle Field, 2015

Aiguilles de pin, peinture, béton, métal.
2580 x 1050 cm
© Laurent Lacotte - Pierre Andrieux - 2015

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{…} Deux terrains de tennis abandonnés depuis plusieurs années dans les Landes. Tous deux recouverts par d’innombrables aiguilles de pins. L’idée fût de nettoyer l’un d’entre-eux en balayant méthodiquement la surface de jeu. Puis, à l’aide du tas d’aiguilles résultant de cette action, de souligner les contours de cet espace en rehaussant les limites au sol existantes. Une forme d’archéologie du quasi-présent redonnant vie de manière éphémère à un équipement public tombé en ruines. {…}

Laurent Lacotte, 2015.
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To the dusk, 2015

Materieaux divers.
830 x 305 x 400 cm

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"To the dusk" est une pièce réalisée peu après le décès de mes grands-parents maternels, anciens agriculteurs. Construite avec des objets provenant de leur hangar, elle convoque par l’hétérogénéité des matériaux utilisés, leur travail passé. Au sommet de l’échelle de meunier est installé un élément provenant d’un ancien pressoir à raisin. C’est à cet endroit que le soleil crépusculaire vient taper, se frayant un passage au travers des arbres qui constituent le petit bois qu’ils aimaient tant.

Laurent Lacotte, 2015.
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Last Lunch, 2014
5 plateaux de tables de 80 x 80 cm en bois massif, mélaminé peint et adhésif imprimé, vieillis en cantine désafectée.
Ancienne cantine STX de Penhouet, Saint-Nazaire.

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Les 5 plateaux de tables colorés ont été trouvés dans l’ancienne cantine Stx de Penhouêt en voie de destruction. Cette cantine fût pendant de nombreuses années le “ventre“ des chantiers navals de Saint-Nazaire. Plus de 2000 repas y étaient servis quotidiennement. Mon travail a consisté en une approche quasi archéologique du site alors fermé au public afin de recueillir les traces de ses usages passés. Après plusieurs après-midis consacrés à sillonner le bâtiment laissé à l’abandon, j’ai pu constater que certaines tables de la cantine n’avaient pas encore été volées ou détruites. Ces dernières se déclinaient en 5 couleurs distinctes. J’ai pris une table de chaque couleur, ai enlevé les pieds de chacune d’entre-elles pour en récupérer les seuls plateaux marqués par le temps. J’ai ensuite réalisé un accrochage sur le mur d’enceinte en parpaings.

Laurent Lacotte, 2015.
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Un jour quand je m’étais balancé, 2014
Bois, métal, corde, tissu, béton.
Dimensions variables
Détail de l’installation (3 portiques fonctionnels)
Parc de la maison de retraite «L’alouette», Pessac.
commissariat : Anne Peltriaux, Corinne Veyssière
Production : Artothèque de Pessac, Communauté urbaine de la ville de Bordeaux
Photos : ©Gaëlle Deleflie

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{…} Nostalgie d’une enfance révolue qui resurgit peu à peu, réminiscences d’un passé traversé, l’installation «Un jour, quand je m’étais balancé» propose au visiteur de se plonger dans une expérience sensorielle singulière à travers une architecture émotionnelle. Placée dans le jardin de la maison de retraite de l’Alouette, l’oeuvre traverse avec poésie le retour à l’enfance. La balançoire est le symbole par excellence du monde onirique lié à la jeunesse ainsi que du jeu. Le Rocking Chair quant à lui, accolé à une notion de confort, est encore aujourd’hui fortement associé aux personnes âgées.
A la dimension de vanité et à l’écrasement progressif de l’enfance, transparait celle du jeu, de l’envol et de liberté. La puissance de l’imaginaire et du sensible sont au coeur de l’oeuvre. L’installation renverse aussi les codes du temps : la fin cède sa place au commencement, la vieillesse à l’enfance. {…}


Extrait du communiqué de presse du parcours «Les Arts aux mur et aux champs» à Pessac, du 14 juin au 27 septembre 2014 dans le cadre de l’Eté métropolitain.

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Exposition fragmentée, 2011
CAC Bretigny, Brétigny-sur-Orge.
commissariat : Pierre Bal-Blanc et Julien Duc-Maugé.

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Le duo d’artistes Romain Demongeot et Laurent Lacotte du Studio 21bis développe depuis plusieurs années une oeuvre qui s’immisce sans com- mentaire, par le biais d’e-mailing, sur nos écrans d’ordinateurs. Ces « images-objets » empruntent la force, la simplicité et l’impact des campagnes de communication qu’elles soient politiques ou commerciales pour questionner la consistance des images de propagande et de publicité qui habitent notre environnement.
Le jeu de la communication obéit à des règles claires dont l’objectif est de promouvoir un message sans ambiguïté qui renvoit à un émetteur et un récepteur bien identifiés. La publicité et la politique peuvent employer des stratégies détournées (l’humour, l’illusion, la dérision) mais c’est toujours au bout du compte au bénéfice de l’authenticité du message et d’un discours de vérité. Romain Demongeot et Laurent Lacotte s’appuient sur la stratégie culturelle des médias pour en montrer les ficelles au sens propre comme au sens figuré. Leur travail se présente d’abord comme la réalisation d’une sculpture publique précaire qui s’adresse dans un premier temps aux individus qui peuplent l’environnement de cet objet réalisé en carton. Ils produisent ensuite une image photographique au cadrage et au rapport entre sujet et fond savamment calculé en laissant derrière eux se décomposer progressivement sur place les matériaux biodégradables de l’objet façonné.
Plusieurs images qui évoquent des sujets de société ont été réalisées dans ces circonstances à travers la France et diffusées successivement sur internet à un rythme irrégulier. On peut interpréter la fréquence d’apparition de ces images en rapport au calendrier des faits de société qui ont motivé les artistes à agir (insécurité, immigration, crise alimentaire, attentat, etc) mais il est aussi possible d’y voir le signe de l’obtention incertaine des moyens qui sont offerts aux artistes pour les réaliser.
Le Centre d’art contemporain de Brétigny a décidé de soutenir l’initiative critique du duo de Studio 21bis qui exprime à la marge des grands faiseurs d’opinion une autre voie. Leur attitude peut s’apparenter aux méthodes des situationnistes employées dans le passé ou plus récemment aux actions et à l’iconographie utilisée par les mouvements syndicaux et alter mondialistes lors des manifestations. Mais leur pratique plastique excède l’investissement dans des événements temporaires en proposant d’agir au niveau de la diffusion de ces images d’une façon différente dans chaque circons- tance. Au centre d’art contemporain de Brétigny, c’est l’intervention dans l’espace d’exposition qui est marginalisée au profit d’une action à l’échelle de la géographie de l’agglomération des neuf villes qui forme la collectivité dont dépend le lieu artistique.
Pendant plusieurs mois, Romain Demongeot et Laurent Lacotte accompagnés par l’équipe du centre d’art ont rencontré et échangé avec la population locale pour trouver le contexte adapté à chaque photographie et qui convient aux uns et aux autres. Entre espaces publics et sphères privées, les sept photographies de sculptures (dont une a été construite lors d’un atelier avec les habitants de Brétigny) sont dispersées dans les bureaux, réfectoires et autres lieux de vie des Val d’Orgiens, complices, qui en sont les médiateurs. L’accès et la médiation de cette exposition sont confiés par les artistes, aux hôtes qui reçoivent ces oeuvres dans leurs locaux situés à Ste-Geneviève-des-Bois, St-Michel-sur-Orge, Villiers-sur-Orge et Brétigny-sur-Orge.
Sept oeuvres photographiques à relier dans des parcours variés, évoquant des sujets de société, sont maintenant accessibles à tous les publics en fonction des usages propres à chaque lieu. Le contenu de chaque photographie de Romain Demongeot et Laurent Lacotte cherche à réveiller notre conscience par rapport au réalisme des images construites en perturbant l’équilibre du jeu entre le sujet et le fond qui lui offre un contexte. L’expo- sition fragmentée nous invite à prolonger cette expérience dans la réalité en confrontant les sujets abordés par chaque image à autant de contextes sociaux, culturels ou professionnels
différents. L’exposition fragmentée des images sur le territoire compose paradoxalement une communauté rassemblée, puis fédérée par son rôle de médiateurs des oeuvres des artistes. Si la liste des lieux qui accueillent les images : un commissariat de police, une maison des seniors, un centre social, une halle de sport, un centre d’art et des maisons particulières, évoque l’énoncé des inventaires surréalistes, c’est sans doute pour nous rappeler que l’art favorise des liens qui s’émancipent des conventions et des habitudes en nous invitant à voir la réalité sous un autre angle.
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